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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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fondée par un groupe d’hommes d’affaires allemands. Un an plus tard, le Deutschland inaugurait la première traversée de l’Atlantique nord. En 1892, le Fürst Bismarck battait le record de la traversée Hambourg-New York en effectuant le trajet en 6 jours, 11 heures et 44 minutes. En 1896 fut lancé le Pennsylvania , capable de transporter près de 2 575 passagers. Et en 1914, l’ Imperator, baptisé par le Kaiser Guillaume  II en personne, doubla ce nombre. Belle carrière, jamais souillée, empreinte d’une certaine noblesse et fière d’une indépendance qui aurait pu se perpétuer si le III e  Reich n’était devenu le principal actionnaire de la Hapag [14] . Depuis que les autorités avaient fait main basse sur la compagnie, la plupart des navires ne servaient plus uniquement au transport des civils, mais aussi à des espions missionnés par l’Abwehr, infiltrés parmi les membres d’équipage.
    Le capitaine Schröder prit une profonde inspiration et franchit le portail du bâtiment au-dessus duquel flottait le drapeau orné de la croix gammée.
     
    Ruth Singer n’arrivait pas à maîtriser ses larmes. Et tous les efforts de son mari pour l’apaiser n’y faisaient rien. Elle s’écria entre deux sanglots :
    « Je ne peux pas le croire ! C’est impossible. Tu dois le raisonner, Dan, tu dois le faire ! »
    Dan Singer écarta les bras en signe d’impuissance.
    « J’ai tout essayé. Je lui ai dit que j’avais miraculeusement réussi à obtenir des visas et des billets pour Judith et nos deux petits-enfants. Il n’a rien voulu savoir. Il ne veut pas quitter Berlin. Il affirme avoir mûrement réfléchi. Pour lui, ce serait une désertion.
    — Une désertion ?
    — C’est l’expression qu’il a employée. Désertion. Julius pense qu’en partant, nous agirons comme des coupables. »
    Ruth cria presque :
    « Des coupables ? Mais il a perdu la tête !
    — Je sais, mein Liebe, je sais. Tu connais notre gendre. Julius est un utopiste. Un artiste, à sa manière. Il est convaincu que nos peurs sont démesurées, que Hitler n’est qu’une parenthèse, que le monde ne restera pas les bras croisés, sans réagir. Que tôt ou tard, l’Amérique ou l’Europe interviendront pour mettre fin à ce qu’il appelle “un soubresaut de l’Histoire”. »
    Ruth se prit la tête entre les mains.
    « Un soubresaut. Les SS , les sévices, le sang versé, les brimades, l’humiliation… ne seraient donc que des soubresauts ? »
    Elle se dressa avec violence :
    « Et Anna ? Et Georg ? A-t-il pensé aux enfants ? Ils n’ont pas vingt ans à eux deux. Que souhaite-t-il pour leur avenir ? La mort ? »
    Elle bondit vers le téléphone.
    Dan n’essaya pas de l’en empêcher.
    La main tremblante, elle dut s’y prendre à deux fois avant de réussir à composer sur le cadran le numéro de sa fille.
    La suite, Dan ne devait plus s’en souvenir. C’était un mélange de souffrance criée, de menaces et de supplications. Lorsque Ruth laissa tomber le combiné, son époux eut à peine le temps de la retenir. Elle avait perdu connaissance.
     
    Le capitaine Schröder fixa le directeur de la Hapag comme s’il découvrait un fantôme.
    « Des Juifs ? répéta-t-il abasourdi.
    — Des Juifs. Parfaitement. Ils seront huit cent quatre-vingt-dix-neuf au départ. Destination La Havane. Vous appareillerez samedi prochain, le 13. Lors de votre première escale, à Cherbourg, trente-huit passagers supplémentaires embarqueront.
    — Qui sont-ils ?
    — Pour la plupart, des enfants et des réfugiés espagnols de la guerre civile. »
    Un imperceptible sourire anima les lèvres de Gustav Schröder. Il pensa en son for intérieur : « Le 13… Pourvu que, pour ces malheureux, ce soit un jour de chance. »
    « Qu’avez-vous ? s’impatienta Holthusen.
    — Rien. Je suis surpris, c’est tout.
    — Surpris ?
    — Disons que je trouve la décision des autorités quelque peu… inattendue.
    — Il ne nous revient pas de la commenter. N’est-ce pas ?
    — Certes », approuva Schröder.
    Il enchaîna très vite, la voix ferme :
    « J’aimerais pour ce voyage vous faire part d’une exigence.
    — Je vous écoute.
    — Je ne veux plus d’éléments perturbateurs sur mon navire. Je n’ose imaginer ce que sera leur attitude parmi de tels passagers. J’exige que l’on m’en débarrasse.
    — Vous voulez parler des…
    — Des “pompiers” et de

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