Un bateau pour l'enfer
du monde : le SS Saint-Louis.
3
Avril 1939
Ce matin-là, le ministre des Affaires étrangères de Roumanie, Grégoire Gafenco, entra dans la chancellerie du Reich afin d’informer le Führer des projets que caressait l’Angleterre, à savoir une alliance avec les Russes qui aurait pour conséquence de garantir une aide à la Pologne. Dès que le Führer entendit mentionner l’Angleterre, il bondit tel un fauve de son fauteuil et hurla : « Si l’Angleterre veut la guerre, elle peut l’avoir ! » Et il précisa : « Et ce sera une guerre “inimaginablement” destructrice ! Comment les Anglais envisageraient-ils une guerre moderne, alors qu’ils ne peuvent même pas mettre sur le terrain deux divisions complètement équipées ? »
Le lendemain, il fêtait ses cinquante ans. Sa récente explosion de colère n’avait fait que souligner son impatience. Le temps fuyait, et il était convaincu qu’il n’avait plus que quelques années pour accomplir sa mission sacrée. L’anniversaire fut célébré par un gigantesque défilé militaire, essentiellement destiné à impressionner ses futurs adversaires. Bien que de nombreux Allemands eussent été hostiles à cette démonstration de force, la majorité sentit monter en elle une vague de fierté. Ce cinquantième anniversaire fut aussi le moment que ses adorateurs attendaient pour chanter les louanges du chancelier. On clama : « Le Führer est le seul homme de notre siècle qui possède la force de manier la foudre de Dieu et de lui donner nouvel emploi par amour de l’humanité. » Pour certains, il était devenu plus que le Messie, c’était Dieu lui-même, celui qui ordonnait tout, qui disposait de tout, le Créateur du monde.
Et dans les jours qui suivirent, on enseigna aux enfants des écoles à lui rendre hommage par ce chant :
Adolf Hitler est notre sauveur, notre héros,
L’être le plus noble de la terre entière.
Pour Hitler nous vivons,
Pour Hitler nous mourons.
Notre Hitler est notre Seigneur,
Qui gouverne un merveilleux monde neuf .
Ce culte qui avait grandi à une vitesse vertigineuse basculait à présent dans l’absurde. À l’occasion d’une rencontre organisée par le Parti, une conférencière rapporta le plus sérieusement du monde ses expériences « avec un chien qui parlait ». Quand on lui demandait : « Qui est Adolf Hitler ? », le chien répondait : « Mein Führer. » La conférencière fut interrompue par les protestations d’un nazi quelque peu indigné. Au bord des larmes, elle répondit : « Cet animal est doué d’intelligence. Il sait qu’Adolf Hitler a promulgué des lois contre la vivisection et le massacre rituel d’animaux par les Juifs ; et c’est par gratitude que ce petit cerveau de chien reconnaît en Adolf Hitler son chef. »
L’Église, elle, ne considérait Hitler ni comme le Messie ni comme Dieu. Elle s’empressa tout de même de l’honorer pour son cinquantième anniversaire. Dans toutes les églises allemandes, des messes furent célébrées « pour implorer la bénédiction de Dieu sur le Führer et son peuple ». Et l’évêque de Mayence fit appel aux catholiques de son diocèse afin qu’ils prient spécialement pour « le Führer, chancelier, inspirateur, protecteur et bienfaiteur du Reich ». Le pape Pie XII , tout récemment élu [9] , ne manqua pas d’envoyer ses chaleureuses félicitations.
Pourtant, celui qui était au centre de tous ces honneurs ne décolérait guère. La parution récente aux États-Unis d’une version condensée et non autorisée de Mein Kampf n’avait fait qu’accroître sa rage à l’égard de ses contempteurs. L’édition en question était parsemée des extraits d’un article rédigé par un journaliste, Alan Cranston, lequel attirait l’attention sur les démesures du maître de l’Allemagne. En dix jours, il s’en vendit un demi-million d’exemplaires, avec, sur la couverture, ces mots imprimés : Pas un sou de droits d’auteur pour Adolf Hitler [10] .
Cet affront fut suivi d’un autre, venu du président Roosevelt, sous la forme d’un message envoyé à la fois à Hitler et à Mussolini (qui venait d’envahir l’Albanie) et demandant instamment des assurances contre de nouvelles agressions : « Vous avez fréquemment affirmé que ni vous ni le peuple allemand ne voulaient la guerre, dit Roosevelt à Hitler. Si cela est vrai, on peut l’éviter. »
Le chancelier décida de répondre.
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