Un bateau pour l'enfer
affaire ? » s’enquit Goering.
Un petit rire échappa à Goebbels.
« C’est très simple. En les laissant partir, nous prouverons au monde que nous ne sommes pas les tortionnaires des Juifs qu’il prétend. Mais surtout, et c’est là le point central de la manœuvre, nous démontrerons que les prêches ne valaient guère plus qu’un pet de cheval. Les autres pays fanfaronnent, ils poussent des cris d’orfraie, mais, le moment venu, aucun d’entre eux n’assumera la responsabilité d’accueillir les représentants de cette sous-race. Nous aurons alors les coudées franches. Personne n’osera plus élever la moindre critique à notre égard !
— Je vous trouve bien optimiste, Herr Goebbels. Comment pouvez-vous être aussi sûr de votre fait ?
— Je n’en suis pas sûr. J’en suis certain ! Qu’il s’agisse de l’Angleterre, de la France ou des autres nations, personne n’en voudra. Vous verrez ! Aux États-Unis mêmes, un sondage paru dans le magazine Fortune démontre que 89 pour cent des Américains s’opposent à ce que leur gouvernement assouplisse les lois sur l’immigration ! Alors ? Où voulez-vous qu’ils aillent ? »
Il ajouta très vite :
« Bien sûr, il reste toujours Cuba.
— Cuba ? » s’étonna Heydrich.
Goebbels confirma.
« Le mois passé, nous avons eu entre les mains la copie d’un rapport confidentiel adressé au département d’État et signé par le consul américain à La Havane, Harold Tewel. Dans ce rapport daté du 18 mars, intitulé “Les réfugiés européens à Cuba”, Tewel décrit la situation des Juifs qui ont déjà émigré dans ce pays et suggère même l’installation supplémentaire de vingt-cinq mille réfugiés européens. Le gouvernement cubain vient de confirmer cela en annonçant qu’il était disposé, moyennant finances bien évidemment, à continuer d’accueillir tous les réfugiés qui le souhaitent. Mais cela peut changer. »
Un sourire énigmatique apparut sur les lèvres du ministre tandis qu’il poursuivait :
« La situation politique de ce pays est d’une incroyable instabilité. Pas moins de trois présidents se sont succédé en cinq ans. C’est une véritable poudrière. Il suffirait de quelques manifestations subtilement inspirées pour que les autorités y réfléchissent à deux fois avant d’ouvrir leurs portes.
— Et nous disposons de suffisamment de moyens sur place pour… inspirer de telles manifestations ?
— Parfaitement. Faites-moi confiance. Ce sera un coup médiatique dont le monde se souviendra. »
Extraits du rapport Tewel
Il existe en ce moment à Cuba environ 2 500 Juifs réfugiés, arrivés essentiellement d’Allemagne et de Pologne. Concentrée sur La Havane, une partie d’entre eux survivent grâce au soutien financier que leur prodiguent des amis ou des parents qui résident sur le territoire américain. Selon mes informations, nombreux sont ceux qui ne disposent d’aucun proche en Amérique susceptible de garantir qu’ils ne deviendront pas, une fois entrés dans le pays, une charge pour l’État. Et ceux qui en possèdent ne seraient pas – toujours selon mes informations – nécessairement les bienvenus. Leurs parents ou amis jugeant préférable de continuer à subvenir, mais à distance, à leurs besoins. Cette attitude s’explique par le fait que les proches en question craignent qu’un afflux massif de réfugiés (non autonomes financièrement) n’accentue au sein de la population américaine une opposition déjà très grande à l’arrivée d’émigrants juifs qui, eux, auraient les moyens de subvenir à leurs propres besoins […]. Actuellement, nous estimons que le rythme des réfugiés oscille entre 400 et 500 personnes par mois.
[…] Le 1 er juin 1938, le colonel Manuel Benitez Gonzalez, directeur cubain du Bureau central pour l’émigration, a publié une lettre circulaire précisant les conditions requises pour l’admission des étrangers. Les étrangers en transit devront établir au préalable une demande de visa d’entrée aux États-Unis et verser une caution de deux cents dollars par personne pour le cas où leur demande serait rejetée. Par ailleurs, ceux qui n’auront pas fait cette demande préalable devront effectuer – avant leur départ pour Cuba – un virement d’un montant de cinq cents dollars par personne, en faveur du Bureau central pour l’émigration et ce, par l’intermédiaire de la compagnie
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