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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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arrive,
terrorisée, du rez-de-chaussée, le corps d’un mamelouk tué pendant les combats,
criblé de coups de navajas, est resté en travers de la porte. C’est le général
Guillot en personne – un des militaires français qui sont récemment venus en
visite dans cette maison – qui a donné le signal des représailles.
    — Que tout le monde garde son
calme ! recommande Aparicio à sa famille et à la domesticité, tout en
s’avançant sur le palier. Je vais traiter avec ces messieurs.
    Le mot « messieurs » n’est
guère adapté à la soldatesque déchaînée : une vingtaine de Français, dont
les bottes et les vociférations résonnent dans l’escalier de bois pendant
qu’ils enfoncent les portes du rez-de-chaussée et détruisent tout sur leur
passage. Dès le premier coup d’œil, Aparicio réalise la situation. Les bonnes
paroles, ne suffiront pas ; et donc, avec une grande présence d’esprit, il
retourne vite à son cabinet, prend dans un secrétaire un rouleau de pièces d’or
et, de retour sur le palier, le vide sur les Français. Mais rien ne les arrête.
Ils continuent de monter l’escalier, arrivent à sa hauteur et le rouent de
coups de crosses. Son neveu de dix-huit ans, Valentín de Oñate Aparicio, et un
employé de l’entreprise familiale, Gregorio Moreno Medina, originaire de
Saragosse et âgé de trente-huit ans, accourent à son aide. Les Français
s’acharnent sur eux, tuent le neveu avec leurs baïonnettes avant de le jeter
dans la cage de l’escalier, et ils traînent Eugenio Aparicio et l’employé
Moreno, qu’un mamelouk fait s’agenouiller et égorge sur le seuil. Eugenio
Aparicio est emmené dans la rue et, après avoir été battu jusqu’à ce que ses
entrailles lui sortent du ventre, il est achevé sur la chaussée à coups de
sabres. Après quoi, les soldats remontent dans l’appartement à la recherche
d’autres personnes sur qui assouvir leur fureur. À ce moment, l’épouse
d’Aparicio a réussi à s’échapper par les toits avec sa fille de quatre ans, une
femme de chambre et plusieurs domestiques, et à se réfugier au couvent des
frères de la Soledad. Les Français pillent la maison, volent tout l’argent et
les bijoux, détruisent les meubles, les tableaux, les porcelaines et tout ce
qu’ils ne peuvent emporter.
    — Monsieur le commandant dit
qu’il regrette la mort de tant de vos compatriotes… Qu’il le regrette vraiment.
    En écoutant les paroles que traduit
l’interprète, le lieutenant Rafael de Arango regarde Charles Tristan de
Montholon, commandant faisant fonction de colonel du 4 e régiment
provisoire. Après le retrait du gros des forces impériales, devenues inutiles
avec la conquête du parc d’artillerie, Montholon est resté à la tête de cinq
cents soldats. Et il faut reconnaître que le chef français traite blessés et
prisonniers avec humanité. Homme de bonne éducation, généreux en apparence, il
ne semble pas garder de ressentiment pour sa brève captivité. « Ce sont
les hasards de la guerre », a-t-il commenté tout à l’heure. Devant le
désastre, tous ces morts et ces blessés, il arbore une expression peinée non
exempte de noblesse. Ses sentiments semblent sincères, aussi le lieutenant
Arango le remercie-t-il d’un hochement de tête.
    — Il dit aussi, ajoute
l’interprète, qu’ils étaient tous des braves… Que tous les Espagnols le sont.
    Arango regarde autour de lui, et les
paroles du Français ne le consolent pas du triste spectacle qui s’offre à ses yeux
rougis et gonflés par une chassie noire, celle de la fumée de la poudre, qui
forme des stries sur sa figure. Ses chefs et ses camarades l’ont laissé seul
pour s’occuper des blessés et des morts. Les autres sont partis avec l’ordre de
rester à la disposition des autorités, après un vif échange entre le duc de
Berg – qui prétendait les fusiller tous –, l’infant don Antonio et la Junte de
Gouvernement. Maintenant, on dirait que le bon sens prévaut. Il se peut
finalement que les autorités impériales et espagnoles s’entendent sur la
question des militaires rebelles pour attribuer la responsabilité des
événements aux civils et aux morts. Parmi ceux-ci, le choix est déjà
suffisamment large. On en est encore à identifier les cadavres espagnols et
français. Dans la cour de la caserne où les corps sont alignés, les uns sous
des draps ou des couvertures, les autres nus, exhibant leurs horribles
mutilations, les

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