Un Jour De Colère
français sur
sa porte et fera état de son statut diplomatique pour empêcher les soldats
d’arrêter son valet.
Tous ne bénéficient pas d’une telle
protection. Guidés par des dénonciateurs – parfois des voisins qui veulent
s’attirer les bonnes grâces des vainqueurs ou en profitent pour régler des
comptes –, les Français entrent dans les maisons, les pillent et emmènent ceux
qui s’y sont réfugiés après les combats, y compris les blessés. C’est ce qui
arrive à Pedro Segundo Iglesias López, un cordonnier de trente ans qui, après
être sorti de son logis de la rue de l’Olivar avec un sabre et avoir tué un
Français, est dénoncé par un voisin en revenant chez sa vieille mère et arrêté.
Même chose pour Cosme Martínez del Corral, qui a réussi à s’échapper du parc
d’artillerie et que l’on vient chercher chez lui, rue Principe ; il est
mené à San Felipe sans qu’on lui donne le temps de se débarrasser des 7250
réaux en billets qu’il porte dans ses poches. Les dépôts de prisonniers établis
dans les caveaux de San Felipe, à la porte d’Atocha, au Buen Retiro, dans les
casernes de la porte de Santa Bárbara, du Conde-Duque, du Prado Nuevo et dans
la résidence même de Murat, continuent ainsi de se remplir, pendant qu’une
commission mixte, formée, du côté français, par le général Emmanuel Grouchy et,
du côté espagnol, par le lieutenant général José de Sexti, se prépare à juger
les détenus sommairement et sans les entendre, en application d’arrêtés et de
proclamations dont ceux-ci n’ont même pas eu connaissance.
Beaucoup de Français, d’ailleurs,
agissent de leur propre initiative. Piquets, détachements, rondes et
sentinelles ne se limitent pas à contrôler, arrêter et envoyer en prison, mais
rendent la justice sur-le-champ et eux-mêmes, volent et tuent. À la porte
d’Atocha, le chevrier Juan Fernández peut considérer qu’il s’en tire à bon
compte, parce que les Français, après lui avoir pris ses trente chèvres, ses
deux bourricots, tout l’argent qu’il avait sur lui ainsi que ses vêtements et
ses couvertures, le laissent partir. Encouragés par la passivité de leurs
supérieurs, et parfois incités par eux, sous-officiers, caporaux et simples
soldats se font procureurs, juges et bourreaux. Les exécutions sommaires se
multiplient maintenant, dans l’impunité de la victoire : elles ont lieu
dans les environs de la Casa del Campo, sur les berges du Manzanares, aux
portes de Ségovie et de Santa Bárbara et dans les fossés d’Atocha et de
Leganitos, mais aussi à l’intérieur de la ville. De nombreux Madrilènes
périssent ainsi, alors que l’écho des bonnes paroles « Paix, paix, tout
est arrangé » ne s’est pas encore éteint dans les rues. Des innocents, qui
n’ont fait que se mettre à leur fenêtre ou passer par là, sont ainsi fusillés
ou gravement blessés aux coins des rues, dans les ruelles ou sous les porches,
au même titre que des civils qui se sont battus. C’est le cas, parmi bien
d’autres, de Facundo Rodríguez Sáez, bourrelier, que les Français forcent à
s’agenouiller et fusillent devant la maison qu’il habite, au 15 de la rue d’Alcalá ;
du valet Manuel Suárez Villamil qui, porteur d’un message de son maître, le
gouverneur de la salle des Alcades don Adrián Martínez, est fait prisonnier par
des soldats qui lui brisent les côtes avec leurs crosses ; du graveur
suisse marié à une Espagnole Pierre Chaponier, roué de coups et achevé par une
patrouille dans la rue Montera ; de l’employé des Écuries royales Manuel
Peláez, que deux de ses amis, le tailleur Juan Antonio Álvarez et le cuisinier
Pedro Pérez, envoyés par sa femme à sa recherche, trouvent gisant sur le ventre
et l’arrière du crâne défoncé, près du Buen Suceso ; du roulier Andrés
Martínez, un septuagénaire complètement étranger au soulèvement, qui est
assassiné, ainsi que son compagnon Francisco Ponce de León, pour avoir été trouvé
en possession d’un couteau par les sentinelles de la porte d’Atocha, en
revenant de Vallecas avec un chargement de vin ; et du muletier Eusebio
José Martínez Picazo, auquel les Français volent son attelage de mules avant de
l’exécuter contre le mur du collège de Jésus Nazareno.
Certains qui se sont battus et se
fient aux proclamations de la commission de pacification payent cette naïveté
de leur vie. C’est ce qui arrive au négociant Pedro
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