Un Jour De Colère
González Álvarez, qui a
combattu sur la promenade du Prado et au Jardin botanique, puis est allé se
réfugier dans le couvent des Capucins. Maintenant, convaincu par les moines que
la paix a été proclamée, il sort dans la rue et, fouillé par un peloton
français qui découvre un petit pistolet dans sa redingote, il est volé,
déshabillé et fusillé sans autre forme de procès sur la côte du Buen Retiro.
C’est aussi l’heure du pillage.
Maîtres des rues, les vainqueurs, qui ont repéré les endroits d’où l’on a fait
feu sur eux, ou sont simplement désireux de s’approprier les biens d’habitants
aisés, tirent à leur fantaisie, défoncent les portes, entrent tranquillement
partout où ils le peuvent, volent, maltraitent et tuent. Dans la rue d’Alcalá,
l’intervention d’officiers français qui logent dans les hôtels du marquis de
Villamejor et du comte de Talara empêche leurs soldats de mettre ceux-ci à
sac ; mais personne ne retient la horde de mamelouks et de soldats qui, à
quelques pas de là, assaille l’hôtel du marquis de Villescas. Le propriétaire
est absent, il n’y a personne pour imposer le respect aux pillards qui
envahissent les lieux sous prétexte que, le matin, des coups de feu en sont
partis ; et tandis que les uns saccagent les chambres et s’emparent de
tout ce qu’ils peuvent porter, d’autres traînent dehors le majordome José Peligro,
son fils, le serrurier José Peligro Hubart, le concierge – un vieux soldat
invalide nommé José Espejo – et le chapelain de la famille. L’intervention d’un
colonel français sauve le chapelain ; mais le majordome, son fils et le
concierge sont assassinés à coups de fusils et de sabres sous les yeux
épouvantés des voisins qui regardent des fenêtres et des balcons. Parmi les
témoins de cette scène figure l’imprimeur Dionisio Almagro, habitant rue Las
Huertas, qui, surpris par le tumulte, s’est réfugié chez son parent, le
fonctionnaire de police Gregorio Zambrano Asensio, lequel, un mois et demi plus
tôt, travaillait pour Godoy, dans trois mois travaillera pour le roi Joseph
Bonaparte, et dans six ans poursuivra les libéraux pour le compte de Ferdinand VII.
— À chacun son dû, commente
Zambrano à l’abri derrière ses rideaux.
Le même drame se répète ailleurs,
aussi bien dans des hôtels de la noblesse, des maisons de riches négociants,
que d’humbles logements qui sont mis à sac et incendiés. Sur les cinq heures de
l’après-midi, l’enseigne de frégate Manuel María Esquivel, qui a réussi, le
matin, à quitter l’hôtel des Postes pour regagner sa caserne avec son peloton
de grenadiers de la Marine, se présente devant le capitaine général de Madrid,
don Francisco Javier Negrete, pour recevoir les consignes de la nuit à venir.
On le fait entrer dans le bureau du général, et celui-ci lui donne l’ordre de
prendre vingt soldats et d’aller protéger la maison du duc de Híjar que les
Français sont en train de piller.
— À ce que je sais, explique
Negrete, quand, ce matin, le général Je-ne-sais-qui, qui loge chez le duc, est
sorti, le concierge lui a tiré à bout portant un coup de pistolet. Le
malheureux l’a raté, mais il a tué un cheval. Ils l’ont fusillé sur place et
marqué la maison pour qu’ensuite… Et maintenant, semble-t-il, ils veulent se
servir de ce prétexte pour voler tout ce qu’ils peuvent.
Avant même que le capitaine général
ait fini de parler, Esquivel s’est rendu compte de l’énormité de ce qui lui
tombe dessus.
— Je suis à vos ordres,
répond-il le plus calmement possible. Mais considérez bien que si ces gens-là
persistent et ne veulent pas céder, j’aurai à faire usage de la force.
— Ces gens-là ?
— Les Français.
Le général le regarde en silence,
fronçant les sourcils. Puis il baisse les yeux et tripote les papiers qui sont
sur sa table.
— Votre tâche consiste à leur
imposer le respect, lieutenant.
Esquivel avale sa salive.
— Telle que se présente la
situation, mon général, insiste-t-il doucement, se faire respecter n’est pas
commode. Je ne suis pas certain que…
— Essayez de ne pas vous
compromettre, l’interrompt le général sans écarter son regard des papiers.
La sueur humecte le col de la veste
de l’officier. Il n’y a pas d’ordre écrit ni rien qui y ressemble. Vingt soldats
et un enseigne livrés aux fauves sur de simples instructions verbales.
— Et si, malgré
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