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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’interprète lui traduit. D’ailleurs les navajas
ouvertes et les visages de ceux qui le bousculent sont suffisamment éloquents.
Il recule donc d’un pas et met la main au sabre de cavalerie qu’il porte au
côté. Le soldat l’imite, les gens font cercle en flairant la bagarre, et
là-dessus apparaît le serrurier Molina qui, à la vue des uniformes, se remet à
crier :
    — Tuez-les !
Tuez-les !… Ne laissons passer aucun Français !
    En moins de temps qu’il n’en faut
pour le dire, tous se précipitent sur La Grange et l’interprète, les malmènent,
lacèrent leurs habits, et seule l’intervention de l’exempt des Gardes du Corps
Pedro de Toisos empêche qu’ils ne soient taillés en pièces sur-le-champ.
Faisant preuve d’une grande présence d’esprit, Toisos arrive en courant et
parvient à extraire l’aide de camp de Murat et le soldat de la foule en leur
faisant rengainer leurs sabres, tout en ordonnant à Lueco et aux autres de ranger
leurs couteaux.
    — Ne versons pas de
sang !… Pensez à l’infant don Francisco, pour l’amour de Dieu !… Ne
déshonorons pas ce lieu !
    Son uniforme et son autorité calment
un peu les esprits, donnant ainsi le temps à la vingtaine de soldats français
qui débouchent de la rue Nueva de permettre à leurs compatriotes de se retirer
sous la protection de leurs baïonnettes. Furieux de voir ses proies lui
échapper, Molina vocifère en exhortant les gens à ne pas les laisser partir. À
ce moment apparaît à la porte du Palais le ministre de la Guerre, O’Farril, qui
vient jeter un coup d’œil. Et comme le serrurier lui crie au nez sans le
moindre respect, le ministre, visage décomposé, le pousse pour l’écarter.
    — Que ces trublions rentrent
chez eux, personne n’a besoin d’eux !
    — Ce sont les coquins comme
vous, monsieur, qui vendent l’Espagne et qui nous perdent tous ! se
rebiffe le serrurier sans se laisser intimider.
    — Partez, ou j’ordonne d’ouvrir
le feu !
    — Le feu ?… Contre le
peuple ?
    La foule se presse, menaçante, pour
soutenir Molina. Un jeune soldat des Volontaires d’Aragón met la main à la
poignée de son sabre en injuriant O’Farril qui, prudent, retourne à
l’intérieur. À cet instant, on entend de nouveaux cris. « Un
Français ! Un Français ! » hurlent des gens qui se précipitent
vers le coin de la rue Tesoro. Molina, qui cherche aveuglément sur quoi
décharger sa colère, joue des coudes et arrive à temps pour voir un marin de la
Garde impériale affolé – un messager qui tentait de s’échapper en direction de
San Gil – se faire désarmer devant le poste de garde par le capitaine des
Gardes wallonnes Alejandro Coupigny, fils du général Coupigny, qui lui enlève
son sabre et le fait entrer pour le sauver de la populace déchaînée. Molina,
dépité par la perte de cette nouvelle proie, arrache des mains d’un voisin un
gros bâton noueux et le brandit.
    — Allons tous chercher des
Français ! braille-t-il à s’en décrocher la mâchoire. Tuons-les !
Tuons-les !
    Et, donnant l’exemple, suivi du
soldat des Volontaires d’Aragón, du chocolatier Lueco, des garçons d’écurie et
de quelques autres, il se lance en courant vers les rues attenantes à la place
du Palais, en quête de quelqu’un pour assouvir sa soif de sang ; ce qui ne
tarde guère, car, à peine passé le carrefour, ils découvrent un militaire
impérial, sans doute un autre messager, qui se dirige vers le casernement de
San Nicolás. Avec des hurlements de joie, le serrurier et le soldat se jettent
à la poursuite du Français, qui fuit désespérément mais est rattrapé par le
gourdin de Molina dans le renfoncement de l’école située en face de San Juan.
Celui-ci lui assène une volée de coups sur la tête, sans pitié, et le
malheureux s’écroule à terre, où le soldat le perce de son sabre.
    Joaquín Fernández de Córdoba,
marquis de Malpica et grand d’Espagne, est au balcon de sa maison, près du
Palais royal et en face de l’église Santa María, d’où il observe les allées et
venues des gens. Les derniers cris et les mouvements de la foule ont inquiété
le marquis et, la curiosité aidant, il décide d’aller y voir de plus près. Pour
ne pas se compromettre – il est capitaine du régiment d’infanterie de Málaga,
mais actuellement en disponibilité –, il écarte l’uniforme et s’habille d’un
chapeau à bord étroit, d’une redingote brune et de

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