Un long chemin vers la liberte
la Charte de la liberté soutenaient la nationalisation de l ’ économie sud-africaine. Je leur expliquai que nous étions pour une meilleure redistribution des fruits de certaines industries, des industries qui étaient déjà dans une situation de monopole, et que la nationalisation pouvait avoir lieu dans certains secteurs. Mais je les renvoyai à un article que j ’ avais écrit en 1966 pour Liberation, et dans lequel je disais que la Charte de la liberté n ’ était pas un projet pour un socialisme mais pour un capitalisme de type africain. Je leur dis que je n ’ avais pas changé d ’ avis.
L’autre grande question était celle de la loi de la majorité. Ils pensaient que si la loi de la majorité s’imposait, les droits des minorités seraient foulés aux pieds. Ils voulaient savoir comment l’ANC protégerait la minorité blanche ? Je leur dis que dans toute l’histoire de l’Afrique du Sud, on ne pouvait comparer aucune organisation à l’ANC, pour ce qui était d’unir tous les peuples et toutes les races du pays. Je les renvoyai au préambule de la Charte de la liberté : « L’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent, Noirs et Blancs. » Je leur dis que les Blancs étaient eux aussi des Africains et que, quelle que soit l’organisation de l’avenir, la majorité aurait besoin de la minorité. « Nous ne voulons pas vous rejeter à la mer », leur dis-je.
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Ces rencontres eurent un effet positif : au cours de l ’ hiver 1988, on me dit que le président Botha avait l ’ intention de me rencontrer fin août. Le pays était toujours en état de trouble. Le gouvernement avait imposé un nouvel état d ’ urgence à la fois en 1987 et 1988. La pression internationale s ’ accentuait. De plus en plus de sociétés quittaient l ’ Afrique du Sud. Le Congrès américain venait de voter des sanctions importantes.
En 1987, l’ANC avait fêté le soixante-quinzième anniversaire de sa création, et avait tenu en Tanzanie, à la fin de l’année, une conférence à laquelle avaient assisté des délégués de plus de cinquante nations. Oliver y déclara que la lutte armée s’intensifierait jusqu’à ce que le gouvernement soit disposé à négocier l’abolition de l’apartheid. Deux ans plus tôt, à la conférence de l’ANC à Kabwe, en Zambie, qui marquait le trentième anniversaire de la Charte de la liberté, des membres d’autres races avaient été élus pour la première fois au Comité national de direction qui s’était engagé à ce qu’aucune discussion avec le gouvernement n’ait lieu tant que les responsables de l’ANC ne seraient pas libérés de prison.
La violence faisait toujours rage, mais le Parti national n’avait jamais été aussi fort. Aux élections blanches de mai 1987, les nationalistes obtinrent une majorité écrasante. Pis encore, le Progressive Federal Party (Parti progressiste fédéral) avait été remplacé comme opposant officiel par le Conservative Party, l’aile droite des nationalistes, et il affirmait que le gouvernement était trop indulgent avec l’opposition noire.
Malgré mon optimisme à propos des conversations secrètes, l ’ époque paraissait difficile. Récemment, j ’ avais reçu la visite de Winnie, et j ’ avais appris qu ’ un incendie criminel avait ravagé le 8115, Orlando West, la maison dans laquelle nous nous étions mariés et que je considérais comme mon chez-moi. Nous avions perdu des objets, des photos et des souvenirs de famille inestimables – même la tranche de notre gâteau de mariage que Winnie gardait pour ma libération. J ’ avais toujours pensé qu ’ un jour, quand je quitterais la prison, je pourrais retrouver le passé en regardant ces photos et ces lettres, et maintenant tout avait disparu. La prison m ’ avait volé ma liberté mais pas mes souvenirs, et, aujourd ’ hui, les ennemis de la lutte avaient essayé de me déposséder même de cela.
J’avais aussi un mauvais rhume dont je ne semblais pas pouvoir me débarrasser et je me sentais souvent trop faible pour faire mes exercices. Je continuais à me plaindre de l’humidité de ma cellule, mais on n’y faisait rien. Un jour, au cours d’une visite de mon avocat, Ismail Ayob, je me suis senti mal et j’ai vomi. On m’a ramené dans ma cellule, un médecin m’a examiné et je me suis remis rapidement. Mais, quelques jours plus tard, après le dîner, alors que je me trouvais dans ma cellule, des
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