Un long chemin vers la liberte
brouillés, trois tranches de bacon et plusieurs toasts beurrés. Je ne me rappelais pas quand j’avais mangé du bacon et des œufs pour la dernière fois et cela m’a donné une faim de loup. J’étais sur le point d’avaler une délicieuse bouchée d’œuf quand le général Marais s’est écrié : « Non, Mandela, c’est contraire aux ordres de votre médecin. » Il a voulu prendre le plateau, mais je le tenais solidement, et je lui ai dit : « Désolé, mon général. Si ce petit déjeuner doit me tuer, alors je suis prêt à mourir. »
Quand j’ai été douillettement installé à Constantiaberge, j’ai rencontré de nouveau Kobie Coetsee et le comité secret. Avant même que je sois sorti, Coetsee m’a déclaré qu’il voulait me mettre dans une situation à mi-chemin entre l’emprisonnement et la liberté. Il ne m’a pas expliqué ce que cela signifiait mais j’avais une idée de ce dont il parlait et j’ai simplement approuvé d’un signe de tête. Si je n’avais pas la naïveté de considérer sa proposition comme la liberté, je savais qu’il avait franchi une étape dans cette direction.
La clinique était très confortable et pour la première fois j’appréciais une convalescence à l’hôpital. Les infirmières – blanches et métisses, les noires n’étaient pas admises – me gâtaient ; elles me donnaient des desserts et des oreillers en supplément et me rendaient tout le temps visite, même en dehors de leurs heures de service.
Un jour, l’une d’elles est venue me dire : « Mr. Mandela, nous faisons une petite fête ce soir et nous aimerions que vous vous joigniez à nous. » Je lui ai répondu que je serais honoré d’y assister mais que les autorités y trouveraient sans doute à redire. Les responsables de la prison m’ont refusé la permission d’y aller, et les infirmières, irritées, ont décidé que leur fête aurait lieu dans ma chambre, disant que cela ne pouvait se passer sans moi.
Le soir, une douzaine de jeunes femmes en robe de fête sont entrées avec des gâteaux, du punch et des cadeaux. Les gardiens ne savaient plus où ils en étaient mais ils ne pouvaient pas considérer ces jeunes filles joyeuses comme un danger pour la sécurité. En fait, quand l’un d’eux a essayé d’en empêcher une d’entrer, je me suis moqué de lui en l’accusant d’être jaloux d’un vieil homme que tant de jeunes et jolies femmes entouraient de leurs soins.
95
Début décembre 1988, ma sécurité a été renforcée et les officiers de service se sont montrés plus attentifs que d ’ habitude. Des changements étaient imminents. Le 9 décembre au soir, le général Marais est entré dans ma chambre et m ’ a dit de me préparer à partir. Pour aller où ? lui ai-je demandé. Il ne pouvait rien me dire. J ’ ai rangé mes affaires et cherché mes gentilles infirmières ; j ’ ai été déçu de ne pouvoir les remercier et leur dire au revoir.
Nous sommes partis tout de suite et, après environ une heure de route, nous sommes entrés dans une prison dont j ’ ai reconnu le nom : Victor Verster. Située près de Paarl, une jolie ville de style hollandais du Cap, Victor Verster se trouve à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de la ville du Cap, dans la région vinicole de la province. L ’ établissement avait la réputation d ’ être une prison modèle. Nous avons traversé l ’ enceinte sur toute sa longueur, longé une route boueuse et sinueuse dans une zone boisée, puis nous sommes arrivés devant une maison isolée, de plain-pied, blanchie à la chaux, située derrière un mur de ciment, à l ’ ombre de très hauts sapins.
Le général m’a fait entrer dans la maison où j’ai trouvé un vaste salon à côté d’une grande cuisine, et une chambre encore plus grande à l’arrière. L’ensemble était peu mais confortablement meublé. On ne l’avait ni lavé ni balayé avant mon arrivée, et la chambre et le salon grouillaient d’insectes exotiques de toutes sortes, mille-pattes, araignées et ainsi de suite, dont certains que je n’avais jamais vus. Le soir, j’ai chassé les insectes de mon lit et de l’appui de fenêtre, et j’ai très bien dormi dans ce qui était ma nouvelle maison.
Le lendemain matin, j’ai visité les lieux et découvert une piscine dans le jardin derrière et deux autres chambres plus petites. Je me suis promené en admirant les arbres dont l’ombre apportait de la
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