Une veuve romaine
ménage et à tout remettre en ordre. Je n’en scrutai pas moins le moindre recoin d’un œil soupçonneux, sans remarquer aucune trace du passage d’un indésirable. Je n’eus alors de cesse avant d’avoir redonné au modeste logis son apparence habituelle : je plaçai les rares meubles de guingois, froissai les couvertures du lit, renversai de l’eau partout en arrosant les plantes sur le balcon et, pour couronner le tout, j’abandonnai sur le sol les vêtements dont je venais de me débarrasser.
C’est seulement après que j’eus vraiment l’impression de me retrouver chez moi.
On avait planté une coupe grecque en céramique au milieu de la table, là où même moi je ne pouvais manquer de la voir. Un antiquaire me l’avait cédée pour deux petites pièces de cuivre et un sourire coquin. Elle contenait quelques jetons, dont certains étaient maculés de traces étranges. Leur vue m’arracha un gloussement de plaisir. Je ne les avais pas revus depuis cette abominable réunion de famille à laquelle j’avais été contraint d’assister. C’est à cette occasion que ma jeune nièce Marcia avait accaparé mes jetons pour jouer, et n’avait rien trouvé de mieux à faire que d’en avaler la plupart.
Quand un enfant a mangé quelque chose qu’on tient à récupérer, il n’existe qu’une solution – si on aime l’enfant, bien sûr. Je connaissais la dégoûtante marche à suivre, depuis l’époque où mon frère Festus avait avalé l’anneau de mariage de ma mère et m’avait supplié de l’aider à le récupérer. (Jusqu’à sa mort, survenue en Judée, et qui mit un terme à mes devoirs fraternels, une sorte de tradition familiale avait régné : Festus était celui qui s’attirait toujours des ennuis, tandis que j’étais l’idiot qu’il arrivait toujours à persuader de l’en tirer.) Avaler les objets précieux devait faire partie de l’atavisme subi par notre famille. Je venais de passer trois jours en prison à espérer que la fillette de mon incapable de frère, gentille mais stupide, serait atteinte de constipation.
J’avais eu tort de me faire autant de souci. Quelqu’un – vraisemblablement ma sœur Maïa, la seule capable de prendre une décision et de la mettre en pratique – avait courageusement recouvré les jetons gagnants. Pour fêter ça, après avoir soulevé une lame du parquet sous laquelle je dissimulais une jarre de vin à la vue de mes visiteurs, je m’installai sur le balcon, les pieds sur la rambarde, afin de siroter mon petit remontant.
À peine eus-je commencé à me sentir mieux, que j’entendis un visiteur approcher.
Il pénétra chez moi et fit une pause sur le seuil, le souffle court après la rude montée. Je me gardai bien de signaler ma présence, ce qui ne l’empêcha pas de me trouver rapidement. Il franchit la porte coulissante et demanda avec entrain :
— Tu es Falco ?
— Ça se pourrait.
Ses bras étaient aussi minces que des cure-dents. Son visage triangulaire se terminait par un menton pointu. Une moustache s’étirait presque d’une oreille à l’autre. Elle partageait en deux une face beaucoup trop âgée pour son corps d’adolescent. Il ressemblait à un réfugié d’une province ravagée par vingt ans de famine et de guerres tribales. La vraie raison n’était pas aussi dramatique : ce n’était qu’un esclave.
— Qui a envie de le savoir ? ajoutai-je.
À ce moment-là, je m’étais suffisamment réchauffé au soleil de l’après-midi pour me moquer de la réponse.
— Un homme à tout faire de la maison d’Hortensius Novus.
Il avait un léger accent étranger, mais difficile à déterminer derrière les inflexions communes à tous les prisonniers de guerre – qu’ils semblaient acquérir dans la promiscuité du marché aux esclaves. J’en conclus qu’il avait appris le latin encore enfant et qu’il se souvenait probablement à peine de sa langue maternelle. À cause de ses yeux bleus, je me dis que c’était sans doute un Celte.
— Tu as un nom ?
— Hyacinthus !
Il le proclama en me jetant un regard qui me mettait au défi de me moquer de lui. Si c’était vraiment un esclave, il devait déjà avoir assez de problèmes, sans entendre brocarder son nom par tous ceux auxquels il se présentait. Ce n’était tout de même pas sa faute si un minable surveillant, pas encore dessoûlé, l’avait gratifié d’un nom de fleur grec.
— Enchanté de faire ta connaissance,
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