Une veuve romaine
à t’en sortir ?
— Oh ! j’ai l’impression d’être jamais parti d’ici. Il y a des années que j’aurais dû y revenir. Mais j’ai pas arrêté de me tâter, parce que je m’étais fait une clientèle sur le Pincio.
— Je pense que ce qui te plaît, c’est toute cette agitation populaire. Sur le mont Pincio, même les puces sont des mijaurées. (Minnius servit une gigantesque part de gâteau à un porteur.) J’ai trois questions, l’ami. Après, je te laisse travailler…
Il acquiesça d’un signe de tête. Les gens aiment savoir qu’il y a une limite au temps qu’on va leur faire perdre, en essayant de leur extraire des indiscrétions.
— … Parle-moi d’abord des pâtisseries que tu as fait livrer chez les Hortensius, le soir de la mort de Novus. Le choix dépendait de toi, ou tu avais reçu des instructions ?
Je vis son visage se fermer. Je devinai tout de suite que quelqu’un lui avait fermement conseillé de se taire. Il se décida néanmoins à me répondre.
— La commande originelle était pour sept pâtisseries de luxe. Un mélange de mon choix. Hyacinthus me l’avait apportée la veille. Mais l’après-midi même, quelqu’un d’autre est passé et en a choisi une en supplément.
— Plus grosse que les autres ? demandai-je doucement. Elle devait être placée au centre du plateau pour faire le maximum d’effet ? Et, en effet, elle était censée faire de l’effet ! commentai-je (sans donner davantage de précisions à Minnius). Question numéro deux : qui est passé choisir le gâteau supplémentaire ?
Mentalement, je venais de miser mon argent sur deux noms. Je l’aurais perdu.
— Hortensia Atilia, répondit Minnius, son regard fixé sur le mien.
La plus douce ! J’étais surpris.
— Merci, dis-je, devenu tout songeur.
— Et la troisième question ? C’est quoi ?
Derrière moi, les clients potentiels faisaient la queue. Je lui adressai un sourire.
— La troisième question est la suivante : combien coûtent deux de tes pâtisseries en forme de colombes, garnies de raisins ?
— C’est pour quelqu’un de spécial ?
— Tout ce qu’il y a de spécial.
— Alors, il faut vraiment que je te fasse un prix spécial.
Il enveloppa deux des plus grosses dans des feuilles de vigne, et m’en fit cadeau.
Je les mis dans mon chapeau, que je tins à la main. Puis je pris le chemin de la maison, où la dame spéciale m’attendait.
Comme je n’avais pas l’intention de ressortir tout de suite, je ramenai l’âne à l’écurie où je l’avais loué. Pourquoi l’aurais-je privé d’ombre, de foin, et de copains ? En outre, je déteste payer des heures de location pour rien.
L’écurie était juste au coin de la rue dans laquelle se trouvait notre immeuble et, de l’endroit où je me tenais, je pouvais voir tout le pâté de maisons. J’avais l’impression d’être dans la peau d’un adolescent qui va à son premier rendez-vous. Je regardais autour de moi, et je trouvais formidable tout ce que je voyais. Tout en cherchant ma clef, je levai les yeux vers mon appartement, ce que je ne fais jamais, normalement, étant bien trop occupé à réfléchir aux derniers événements.
Le soleil, qui se trouvait juste au-dessus de moi, m’obligeait à loucher. Je détournai les yeux de l’appartement. Puis, quelque chose me poussa à regarder de nouveau.
J’avais beau m’abriter les yeux de la main, ma vue n’était pas normale. Pendant un bref instant, j’eus l’impression de voir l’immeuble onduler. Jetant un coup d’œil autour de moi, je vis beaucoup de gens dans la rue : ils semblaient n’avoir rien remarqué.
Puis, je vis toute la façade de mon immeuble se décomposer, à la façon d’un visage envahi par les larmes. Après avoir oscillé, il parut rester suspendu en l’air. Les forces naturelles qui gardent une structure debout avaient cessé d’agir. Chaque partie de la construction paraissait avoir pris son indépendance, mais la forme générale de la maison se dessinait encore. Pas pour longtemps. Elle s’affaissa en un mouvement compact, comme si elle se repliait sur elle-même.
Le vacarme, qui emplit toute la rue, fut assourdissant.
Et en même temps, nous fûmes tous enveloppés dans un épais nuage de poussière qui manqua nous asphyxier.
41
Quand ce genre d’événement se produit, il s’établit d’abord un silence impressionnant. Puis les gens se mettent à hurler.
Il faut d’abord
Weitere Kostenlose Bücher