Vers l'orient
incrustés entre la peau et la chair.
Dégoûtés, nous la jetâmes et nous contentâmes ce soir-là de la nourriture
séchée qui était notre ordinaire dans le désert. Mais, le lendemain, ayant tué
un autre volatile, nous le trouvâmes infesté de la même façon. Je ne sais quel
démon afflige toute créature vivante dans le Garabil. Les indigènes rencontrés
ne surent nous le dire et n’en semblèrent de toute façon nullement affectés, se
moquant même de la nausée que cela nous inspirait. Comme tous les animaux que
nous réussîmes à chasser fourmillaient de la même vermine, nous nous fîmes
violence pour ôter ces parasites avant de faire cuire la viande, et, comme la
manger ne nous rendit pas malades, nous considérâmes bientôt le phénomène comme
banal.
Un autre exercice qui aurait pu nous paraître gênant
nous sembla après le désert au contraire passionnant. Par trois fois au cours
de notre traversée du Garabil, nous eûmes à franchir une rivière. Si je me
souviens bien, celles-ci s’appelaient le Tedzhen, la Kushka et la Takhta. Si
elles n’étaient pas particulièrement larges, leurs eaux étaient en revanche
froides, profondes et rapides, car elles tombaient directement du Paropamisus
dans les étendues plates du Karakoum, où elles iraient ensuite se perdre et
disparaître, absorbées par les Sables noirs. Sur chaque rive s’élevait un
caravansérail, lequel proposait un service de navette que je trouvai
réjouissant. Pour nos chevaux, nous leur ôtâmes juste leur selle et leur chargement
avant de les laisser traverser à la nage, ce qu’ils firent avec aplomb. Quant à
nous, les voyageurs, nous fûmes transportés sur l’autre berge, l’un après
l’autre, avec nos bagages, par un passeur qui conduisait une embarcation tout à
fait particulière appelée masak. Guère plus grand qu’un baquet, celui-ci
était constitué d’une ossature légère en bois, soutenue sur l’eau par un
certain nombre de flotteurs faits de peaux de chèvre gonflées d’air.
Il faut le dire, le masak ne ressemblait pas à grand-chose :
les pattes de chèvre attachées parmi les perches d’armature lui conféraient un
aspect plutôt grotesque, mais j’appris que tout cela avait son utilité. Ces
eaux sont tumultueuses, et le passeur avait un contrôle des plus réduit sur une
embarcation aussi curieuse que le masak, aussi celui-ci faisait-il des
embardées, se balançait, tournait sur lui-même et tanguait follement, donnant
de la bande tout au long du parcours qui le menait en diagonale d’une rive à
l’autre. Chaque traversée étant relativement longue, les peaux de chèvre
gonflées d’air avaient le temps de se mettre à fuir, en bouillonnant et en
sifflant. Dès que le masak commençait à s’enfoncer dangereusement sous
la surface de l’eau, le passeur cessait de pagayer, détachait les pattes de
chèvre qui fermaient les sacs de peau et soufflait vigoureusement dans chacun
d’eux, l’un après l’autre, jusqu’à ce qu’ils flottent à nouveau, avant de les
rattacher avec dextérité. Pour être vraiment franc dans mon appréciation, je
dois préciser que je trouvai surtout amusant ce type de navette après que
j’eus été déposé sain et sauf sur la rive opposée. Car, durant la turbulente
traversée, mes sensations s’étaient surtout résumées en vertiges,
étourdissements, humidité, froid, mal de mer et crainte d’un naufrage imminent.
Au passage de la Kushka, je me souviens qu’alors
qu’une autre caravane se préparait à la franchir, nous nous demandâmes comment
ils allaient s’y prendre, car ils voyageaient avec un certain nombre de
chariots attelés. Ils enlevèrent aux chevaux leurs harnachements et les
laissèrent nager seuls vers la rive opposée, puis firent transporter en masak les personnes et les marchandises. Enfin, lorsque chacun des chariots fut
entièrement vidé de son contenu, ils furent descendus depuis la berge jusqu’à
ce que leurs quatre roues fussent déposées chacune sur l’un de ces curieux
petits baquets servant d’embarcation, et ils furent ainsi convoyés, unis en
quatuors flottants. C’était un sacré spectacle que ces vastes chariots dansant
et tourbillonnant sur la rivière, avec leurs passeurs pagayant alternativement
aux quatre coins du carré tel Charon, pour faire avancer le tout, puis
soufflant comme Éole afin de conserver les outres gonflées.
Faisons-le remarquer, les caravansérails situés sur
les berges
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