Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
tinrent le discours suivant :
Frères,
«C'est avec douleur que nous avons vu nos terres occupées par vous, sans notre consentement. Il y a long-temps que nous nous plaignons à vous de cette injustice, qui n'a point encore été redressée. Au contraire, vos établissemens s'étendent dans notre pays. Quelques-uns se trouvent même directement dans le chemin de guerre, qui conduit vers le pays de nos ennemis ; et nous en sommes très-mécontens.—Frères, vous avez parmi vous des loix pour vous gouverner. Vous nous donneriez donc la plus forte preuve de la sincérité de votre amitié, si vous nous fesiez voir que vous faites sortir les gens de votre nation de dessus nos terres ; car nous pensons qu'ils auront assez le temps de s'y établir quand vous les aurez achetées et que le pays vous appartiendra.»
En réponse à ce discours, les commissaires de Pensylvanie informèrent les six Nations, que le gouverneur de la province avoit fait partir quatre personnes avec sa proclamation et l'acte de l'assemblée (qui déclaroit crime de félonie digne de mort sans bénéfice de clergé, l'occupation des terres des Indiens) pour ordonner à tous les habitans des montagnes situées dans les limites de la Pensylvanie, d'abandonner leurs établissemens : mais que cela avoit été inutile.—Ils dirent aussi que le gouverneur de la Virginie avoit non moins infructueusement fait une proclamation ; et que le général Gage n'avoit pas été plus heureux en envoyant deux fois des soldats pour forcer les colons à abandonner la Crique de la Pierre Rouge et les bords du Monongehela.
Aussitôt que M. Jackson et le docteur Franklin eurent reçu les instructions de l'assemblée générale de Pensylvanie, ils se rendirent chez le ministre chargé du département de l'Amérique, et lui représentèrent combien il étoit nécessaire et pressant de faire terminer l'affaire des limites. En conséquence, le gouvernement donna de nouveaux ordres à sir William Johnson.
Il est donc certain que la proclamation du mois d'octobre 1763, ne pouvoit pas, comme l'ont dit les lords commissaires du commerce et des colonies, signifier que la politique du royaume étoit de ne pas laisser former des établissemens sur les montagnes d'Allegany, après que le roi auroit acheté ce territoire, car la véritable raison, qu'on avoit de l'acheter, étoit d'éviter une rupture avec les Indiens, et de donner occasion aux sujets du roi de s'y établir légitimement et paisiblement.
Nous allons examiner dans nos observations sur le cinquième paragraphe du rapport des lords commissaires du commerce et des colonies, s'ils sont bien fondés à déclarer que l'établissement des terres dont il est question, ne peut être nullement avantageux au commerce du royaume.—«Les diverses propositions d'établir de nouvelles colonies dans l'intérieur de l'Amérique, disent-ils, ont été, d'après l'extension des limites, soumises à la considération du gouvernement, sur-tout lorsqu'il s'est agi de cette partie du pays, où sont situées les terres, dont on demande la concession ; et le danger d'accéder à de pareilles propositions, a paru si évident, que les tentatives à cet égard ont toujours été infructueuses.»
Comme nous ignorons quelles étoient les propositions, dont parlent les lords commissaires, et d'après quel principe les tentatives à cet égard ont été infructueuses, il nous est impossible de juger si cela peut nous être appliqué.
Cependant nous savons qu'il y a eu en 1768 une proposition faite au gouvernement pour l'établissement d'une partie des terres en question. Cette proposition étoit du docteur Leé, de trente-deux Américains et de deux habitans de Londres. Ils prièrent le roi de leur accorder, gratis, deux millions cinq cent mille acres de terre sur les montagnes d'Allegany, en un ou plusieurs arpentages, entre le vingt-huitième et le quarante-deuxième degré de latitude, à condition de posséder ces terres douze ans, sans payer aucun cens, et ces douze ans ne devant commencer à courir que lorsque les deux millions cinq cent mille acres seroient arpentés. En outre, les concessionnaires ne devoient être obligés d'établir sur ces terres que deux mille familles dans l'espace de douze ans.
Surement les lords commissaires ne prétendent pas que cette proposition ressemble à la nôtre, et puisse s'appliquer au cas où nous nous trouvons. Ils ont dû, sur-tout, remarquer que le docteur Lée et ses associés n'offroient
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