Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
sa majesté.»
Nous sommes loin de penser que sa majesté doive traiter de nouveau avec les Indiens, pour établir des limites plus précises et plus certaines, d'après la considération de la justice, relativement à la propriété des terres. La propriété de la moindre partie du territoire, dont nous parlons, ne peut être contestée.
Mais pour mieux faire entendre toutes les raisons pour lesquelles on veut engager sa majesté à traiter de nouveau avec les Indiens, pour tracer une ligne de démarcation plus précise et plus certaine que celle que désigne la proclamation du mois d'octobre 1763, nous prendrons la liberté d'exposer quelques faits.
En 1764, les ministres du roi désiroient d'obtenir un acte du parlement qui réglât le commerce avec les Indiens, et y mît un impôt, par le moyen duquel on auroit de quoi fournir aux salaires des surintendans, des commissaires, des interprètes, et à l'entretien des forts, dans le pays où l'on traitoit avec les Indiens.
Pour éviter à l'avenir, de donner aux Indiens occasion de se plaindre de ce qu'on usurpoit leur pays de chasse, on résolut d'acheter d'eux, un vaste territoire, et de reculer, d'accord avec eux, la ligne des limites, bien au-delà de l'endroit où il n'étoit pas permis aux sujets de sa majesté de s'établir.
En conséquence, on donna, la même année, des ordres à sir William Johnson, pour qu'il convoquât les chefs des six Nations, et qu'il leur fît part du projet des ministres anglais. Sir William Johnson assembla en effet, dans sa maison, les députés des six Nations, le 2 mai 1765, et il leur tint ce discours :
Frères,
«La dernière et la plus importante proposition que j'ai à vous communiquer, est relative à l'établissement des limites entre vous et les Anglais. Il y a quelque temps que j'envoyai un message à quelques-unes de vos nations, pour vous avertir que je voulois conférer avec vous à ce sujet.—Le roi, dont vous avez déjà éprouvé la clémence et la générosité, désirant de mettre fin à toutes les disputes entre ses sujets et vous, à l'occasion des terres, et d'être strictement juste envers vous, a formé le plan d'établir entre nos provinces et celles des Indiens, des limites qu'aucun homme blanc n'ose franchir ; parce que c'est la plus sûre et la meilleure méthode de terminer les querelles, et de mettre vos propriétés à l'abri de toute invasion.
»L'intention du roi vous paroîtra, j'espère, si raisonnable, si juste, et si avantageuse pour vous et pour votre postérité, que je ne doute nullement que vous ne consentiez avec joie à voir établir une ligne de démarcation. Nous la tracerons, vous et moi, de la manière la plus avantageuse pour les hommes blancs et pour les Indiens, et telle qu'elle conviendra le mieux à l'étendue, à l'accroissement de chaque province, et aux gouverneurs, que je consulterai à cette occasion, aussitôt que j'aurai reçu les pouvoirs nécessaires pour cela.
—Mais, en attendant, je désire savoir comment vous voulez étendre cette ligne, et ce que vous consentez de faire cordialement à cet égard, afin que cela me serve de règle.—Je dois aussi vous prévenir que quand cette affaire sera terminée, et qu'on verra que vous aurez eu égard à l'accroissement de notre population, et à la nécessité de nous céder des terres là où nous en avons besoin, vous recevrez, pour prix de votre amitié, un présent très-considérable [Le sir William Johnson, qui tint ce discours, joue un très-grand rôle dans l'histoire de l'Amérique septentrionale. Il connoissoit parfaitement le caractère des Sauvages ; et étoit parvenu à se faire donner, par eux, un territoire très-considérable. Voici un des traits qu'on m'a cités de lui, lorsque je voyageois dans les États-Unis. Les Sauvages prétendent qu'un véritable ami doit, s'il le peut, réaliser leurs songes. Johnson connoissant ce préjugé, et voulant tenter l'ambition d'un chef, qui étoit venu le voir, exposa à sa vue un habit d'écarlate galonné, et un beau sabre. Le Sauvage n'osa pas demander ces objets : mais le lendemain, il revint chez Johnson, et lui dit : «Frère, j'ai rêvé, cette nuit, que tu m'avois donné ton habit rouge et ton beau sabre».—«Tu les auras», répondit Johnson ; et il les lui donna sur-le-champ.—Au bout de quelque temps, le Sauvage ayant reparu, Johnson lui dit :—«Frère, j'ai rêvé que tu m'avois donné le pays qui s'étend depuis telle rivière jusqu'à telle
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