Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
vous vous placez à votre bureau, vous y écrivez, ou vous parlez aux gens qui viennent vous chercher pour affaire. Cela dure jusqu'à une heure après-midi, sans le moindre exercice de corps.—Tout cela, je vous le pardonne, parce que cela tient, comme vous dites, à votre état sédentaire.
Mais après dîner, que faites-vous ? Au lieu d'aller vous promener dans les beaux jardins de vos amis, chez lesquels vous avez dîné, comme font les gens sensés, vous voilà établi à l'échiquier, jouant aux échecs, où on peut vous trouver deux ou trois heures.
C'est là votre récréation éternelle ; la récréation, qui de toutes, est la moins propre à un homme sédentaire ; parce qu'au lieu d'accélérer le mouvement des fluides, ce jeu demande une attention si forte et si fixe que la circulation est retardée, et les secrétions internes empêchées.—Enveloppé dans les spéculations de ce misérable jeu, vous détruisez votre constitution.
Que peut-on attendre d'une telle façon de vivre, si non un corps plein d'humeurs stagnantes, prêtes à se corrompre, un corps prêt à tomber dans toute sorte de maladies dangereuses, si moi, la Goutte, je ne viens pas de temps en temps à votre secours, pour agiter ces humeurs et les purifier on les dissiper ?
Si c'étoit dans quelque petite rue ou dans quelque coin de Paris, dépourvu de promenades, que vous employassiez quelque temps aux échecs, après votre dîner, vous pourriez dire cela pour excuse. Mais c'est la même chose à Passy, à Auteuil, à Montmartre, à Épinay, à Sanoy, où il y a les plus beaux jardins et promenades, et belles dames, l'air le plus pur, les conversations les plus agréables, les plus instructives, que vous pouvez avoir tout en vous promenant. Mais tout cela est négligé pour cet abominable jeu d'échecs.—Fi donc, monsieur Franklin !—Mais en continuant mes instructions, j'oubliois de vous donner vos corrections. Tenez : cet élancement, et celui-ci.
Franklin.
Oh ! eh ! oh ! ohhh !—Autant que vous voudrez de vos instructions, madame la Goutte, même de vos reproches. Mais de grace, plus de vos corrections.
La Goutte.
Tout au contraire : je ne vous rabattrois pas le quart d'une.
Elles sont pour votre bien. Tenez.
Franklin.
Oh ! ehhh !—Ce n'est pas juste de dire que je ne prends aucun exercice. J'en fais souvent dans ma voiture, en allant dîner et en revenant.
La Goutte.
C'est de tous les exercices imaginables, le plus léger, le plus insignifiant, que celui qui est donné par le mouvement d'une voiture suspendue sur des ressorts. En observant la quantité de chaleur obtenue de différentes espèces de mouvement, on peut former quelque jugement de la quantité d'exercice qui est donnée par chacun.
Si, par exemple, vous sortez en hiver, avec les pieds froids, en marchant une heure, vous aurez les pieds et tout le corps bien échauffés.—Si vous montez à cheval, il faut trotter quatre heures avant de trouver le même effet. Mais si vous vous placez dans une voiture bien suspendue, vous pourrez voyager tout une journée, et arriver à votre dernière auberge, avec vos pieds encore froids.—Ne vous flattez donc pas qu'en passant une demi-heure dans votre voiture, vous preniez de l'exercice.
Dieu n'a pas donné des voitures à roues à tout le monde : mais il a donné à chacun deux jambes, qui sont des machines infiniment plus commodes et plus serviables. Soyez en reconnoissant et faites usage des vôtres.
Voulez-vous savoir comment elles font circuler vos fluides en même-temps qu'elles vous transportent d'un lieu à l'autre ? Pensez que quand vous marchez, tout le poids de votre corps est jeté alternativement sur l'une et l'autre jambe.—Cela presse avec grande force les vaisseaux du pied et refoule ce qu'ils contiennent.
Pendant que le poids est ôté de ce pied et jeté sur l'autre, les vaisseaux ont le temps de se remplir, et par le retour du poids, ce refoulement est répété.
Ainsi, la circulation du sang est accélérée en marchant. La chaleur produite en un certain espace de temps, est en raison de l'accélération. Les fluides sont battus, les humeurs atténuées, les sécrétions facilitées, et tout va bien. Les joues prennent du vermeil et la santé est établie.
Regardez votre amie d'Auteuil, une femme qui a reçu de la nature plus de science vraiment utile, qu'une demi-douzaine ensemble de vous, philosophes prétendus, n'en avez tiré de vos livres. Quand elle voulut vous faire l'honneur de sa
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