Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
pouvoir de ses bras et de ses forces ; il ne travaille en même-temps que sur une planche, et lorsqu'il a fini la première, il passe à une seconde.
Je devois jouir (je m'en flattois du moins) du plaisir encourageant de voir sur mes pages mes progrès dans la vertu, en effaçant successivement les marques de mes lignes, jusqu'à ce qu'à la fin, après plusieurs répétitions, j'eusse le bonheur de voir mon livre entièrement blanc, au bout d'un examen journalier de treize semaines.
Mon petit livre avoit pour épigraphe ces vers du Caton d'Addison.
Here will I hold : if there is a power above us
(And that there is, all nature cries aloud
Thro' all her works) he must delight in virtue,
And that which he delights in, must be happy.
«Je persévérerai : s'il y a un pouvoir au-dessus de nous (et la nature entière crie à haute voix dans toutes ses œuvres qu'il y en a un), la vertu doit faire ses délices, et ce qui fait ses délices doit être le bonheur.»
Un autre de Cicéron.
O vitæ Philosophia dux ! ô virtutum indagatrix, expultrixque vitiorum ! Unus dies benè et ex præceptis tuis actus peccanti immortalitati est anteponendus.
«Ô philosophie ! guide de la vie, source des vertus et fléau des vices ! Un seul jour employé au bien, et suivant tes préceptes, est préférable à l'immortalité passée dans le vice.»
Un autre, d'après les proverbes de Salomon, parlant de la sagesse et de la vertu.
«La longueur des jours est dans sa main droite, et dans sa gauche la richesse et les honneurs ; ses voies sont des voies de douceur, et tous ses sentiers sont ceux de la paix».
Prov. ch. III. v. 16 et 17.
Et considérant Dieu comme la source de la sagesse, je pensai qu'il étoit juste et nécessaire de solliciter son assistance pour l'obtenir. Je composai en conséquence la courte prière qui suit, et je la mis en tête de mes tables d'examen, pour m'en servir tous les jours.
«Ô bonté puissante ! père bienfaisant ! guide miséricordieux, augmente en moi la sagesse pour que je puisse connoître mes vrais intérêts ; fortifie ma résolution pour exécuter ce qu'elle prescrit, agrée mes bons offices à l'égard de tes autres enfans, comme le seul acte de reconnoissance qui soit en mon pouvoir pour les faveurs continuelles que tu m'accordes.»
Je me servois aussi de cette prière, tirée des poëmes de Thompson.
Father of light and life, thou Good supreme !
O Teach me what is Good, teach me thyself.
Save me from folly, vanity, and vice,
From every low pursuit, and fill my soul
With knowledge, conscious peace and virtue pure,
Sacred, substantial, never fading bliss.
«Père de la lumière et de la vie ! Ô toi, le bien suprême ! instruis-moi de ce qui est bien, instruis-moi de toi-même ; sauve-moi de la folie, de la vanité, du vice, de toutes les inclinations basses, et remplis mon ame de savoir, de paix intérieure, et de vertu pure ; bonheur sacré, véritable, et qui ne se ternit jamais.»
Le précepte de l'ordre demandant que chaque partie de mes affaires eût son temps assigné, une page de mon livret contenoit le plan qui suit pour l'emploi des vingt-quatre heures du jour naturel.
Plan pour l'emploi des 24 heures du jour naturel.
Question du matin : Quel bien puis-je faire aujourd'hui ?
5.
6.
7.
En me levant, me laver et invoquer la bonté suprème, régler les affaires et prendre les résolutions du jour, continuer les études actuelles, déjeûner.
8.
9.
10.
11.
Travail.
midi.
1.
Lecture, ou examen de mes comptes, et dîner.
2.
3.
4.
5.
Travail.
6.
7.
8.
9.
Ranger tout à sa place, souper, musique ou récréation, ou conversation, examen du jour.
10.
11.
minuit.
1.
2.
3.
4.
Sommeil.
Question du soir : Quel bien ai-je fait aujourd'hui ?
J'entamai l'exécution de ce plan par mon examen, et je continuai pendant un certain temps, l'interrompant dans quelques occasions. Je fus surpris de trouver combien j'étois plus rempli de défauts que je ne l'avois imaginé ; mais j'eus la satisfaction de les voir diminuer.
Pour éviter l'embarras de renouveler, de temps en temps, mon livret, qui, en grattant le papier pour effacer les marques des vieilles fautes, afin de faire place aux nouvelles dans un nouveau cours, étoit devenu rempli de trous, je transcrivis mes tables et mes préceptes sur les feuilles d'ivoire d'un souvenir : les lignes y furent tracées, d'une manière durable, avec de l'encre rouge, et j'y marquai mes fautes avec un crayon de mine de plomb, dont je pouvais effacer
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