Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
propriétaires, qu'il n'y a pas un village, quelque petit qu'il soit, où l'on ne trouve un chevalier, un écuyer, ou un de ces chefs de famille, appelés Franklins, qui tous ont de riches possessions. Il y a aussi d'autres francs-tenanciers, et beaucoup de métayers, qui ont assez de bien pour jouir du droit de composer un jury, dans la forme ci-dessus mentionnée».
Le poëte Chaucer appelle aussi son campagnard un Franklin ; et ayant décrit la manière honorable dont il tenoit sa maison, il dit à-peu-près :
Ce bon Franklin, l'honneur de son pays,
Simple en ses mœurs, simple dans sa parure,
Modestement portoit à sa ceinture,
Bourse de soie aussi blanche qu'un lys.
Preux chevalier, juge très-équitable,
Franc, généreux, compatissant, humain,
Tendant au pauvre une main secourable,
Par ses conseils éclairant l'incertain,
Il eut le don de plaire : il fut enfin,
Toujours aimé, comme toujours aimable.
Le petit domaine qui appartenoit à nos ancêtres, n'eût pas suffi pour leur subsistance, sans le métier de forgeron qui se perpétua parmi eux et fut constamment exercé par l'aîné de la famille, jusques au temps de mon oncle ; coutume que lui et mon père suivirent aussi à l'égard de leurs fils.
Dans les recherches que je fis à Eaton, je ne trouvai aucun détail sur la naissance, les mariages et la mort de nos parens, que depuis l'année 1555, parce que le registre de la paroisse ne remontoit pas plus haut. J'appris, par ce registre, que j'étois le plus jeune fils du plus jeune des Franklin, en remontant à cinq générations. Mon grand-père Thomas, né en 1598, vécut à Eaton jusqu'à ce qu'il fût trop âgé pour continuer son métier. Alors il se retira à Banbury, dans l'Oxford-Shire, où résidoit son fils John, qui exerçoit le métier de teinturier, et chez qui mon père étoit en apprentissage. Mon grand-père mourut là et y fut enterré. Nous visitâmes sa tombe en 1758. Son fils aîné, Thomas, demeuroit à Eaton, dans la maison paternelle, qu'il légua avec la terre qui en dépendoit, à sa fille unique. Cette fille, de concert avec son mari, M. Fisher de Wellingborough vendit depuis son héritage à M. Ested, qui en est encore propriétaire.
Mon grand-père eut quatre fils qui lui survécurent ; savoir : Thomas, John, Benjamin et Josias.
Je ne vous en dirai que ce que me fournira ma mémoire ; car je n'ai point ici mes papiers, dans lesquels vous trouverez un plus long détail, s'ils ne se sont pas égarés en mon absence.
Thomas avoit appris, sous son père, le métier de forgeron. Mais possédant beaucoup d'esprit naturel, il le perfectionna par l'étude, à la sollicitation de M. Palmer, qui étoit alors le principal habitant de la paroisse d'Eaton, et encouragea de même tous mes oncles à s'instruire. Thomas se mit donc en état de remplir l'office de procureur. Il devint bientôt un personnage essentiel pour les affaires du village, et fut un des principaux moteurs de toutes les entreprises publiques, tant pour ce qui avoit rapport au comté qu'à la ville de Northampton. On nous en raconta plusieurs traits remarquables, lorsque nous allâmes à Eaton. Il jouit de l'estime et de la protection particulière de lord Halifax, et mourut le 6 janvier 1702, précisément quatre ans avant ma naissance. Je me rappelle que le récit que nous firent de sa vie et de son caractère, quelques personnes âgées, dans le village, vous frappa extraordinairement par l'analogie que vous trouvâtes entre ces détails et ce que vous connoissiez de moi.
—«S'il étoit mort quatre ans plus tard, dites-vous, on pourroit croire à la transmigration des ames.»
John fut, à ce que je crois, élevé dans la profession de teinturier en laine.
Benjamin fut mis en apprentissage à Londres, chez un teinturier en soie. Il étoit industrieux. Je me souviens très-bien de lui ; car lorsque j'étois encore enfant, il vint joindre mon père à Boston et vécut quelques années dans notre maison. Il fut toujours lié d'une tendre amitié avec mon père, qui me le donna pour parrain.
Il parvint à un âge très-avancé. Il laissa deux volumes in-quarto de poésies manuscrites, consistant en petites pièces fugitives, adressées à ses amis. Il avoit inventé une tachygraphie, qu'il m'enseigna ; mais n'en ayant jamais fait usage je l'ai oubliée. C'étoit un homme rempli de piété, et très-soigneux d'aller entendre les meilleurs prédicateurs, dont il se fesoit un plaisir de transcrire les sermons
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