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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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prendre place dans l'arrangement géométrique d'un cadre préconçu. C'est alors qu'on obtient ce que Forster appelait le modèle « sablier » de la Thaïs, d'Anatole France, qui est justement un exemple d'un roman très intelligent et un peu trop adroit.
    Après les livres mal faits, ce qu'il y a de plus dangereux, ce sont les livres trop bien faits. Or, le livre trop bien fait naît de l'excessive liberté. Vous pouvez remarquer, si vous étudiez l'histoire du roman en Angleterre ou ailleurs, que souvent les meilleurs des romanciers s'imposent à eux-mêmes des contraintes et vont chercher dans la vie réelle des situations et des documents comme ferait un biographe. Meredith a emprunté beaucoup de ses personnages au réel; Tolstoï, dans Guerre et Paix, s'est servi de l'histoire de sa famille; Maurice Baring m'a raconté que le sujet de Cat's Cradle lui a été fourni par la notice nécrologique d'une vieille dame dans un journal. Gide, dans le Journal des faux monnayeurs, indique qu'il préfère accepter un « fait divers » donné et ne pas construire a priori.
    Je crois que des suites d'événements ainsi empruntées à la réalité, puis transformées par l'art du romancier, paraîtront toujours plus vraies que des événements entièrement inventés. La folie de la vérité est admira-ble,presque inimitable et il faut du génie pour être aussi hardiment absurde que Dieu. Mais le romancier, même s'il accepte de la vie des combinaisons d'événements qui servent ses desseins, ses passions, peut toujours supprimer, d'un coup de bistouri, telle tumeur d'événements parasites, tandis que le biographe doit vivre avec son mal. Il peut composer, naturellement, faute de quoi il cesse d'être un artiste, mais c'est plutôt par éclairage, comme le peintre, ou par rythmes, comme le poète.
    Venons-en maintenant à ce que Forster appelle story, l'histoire. Il explique, et il a raison, que la première qualité d'un roman c'est de forcer le lecteur à désirer et à attendre la suite. « Schéhérazade n'a été sauvée, dit Forster, que parce que son terrible mari voulait connaître le chapitre suivant. » Schéhérazade aurait-elle été sauvée si elle avait écrit des biographies ? Une biographie forme-t-elle une histoire aussi continue, aussi intéressante qu'un roman? Cela dépend des thèmes choisis. L'histoire de Disraeli présente très exactement tous les caractères d'un conte des Mille et une Nuits. C'est un conte, parce que la confiance et l'audace finissent par y triompher; il n'y manque pas la bonne fée, qui est la reine Victoria, et même, comme dans la Belle au bois dormant, on y trouve toute l'assemblée des fées : la fée Mary Ann, la fée Mrs. Austen, lady Dorothy Nevill, lady Chesterfield, lady Bradford. Oui, je crois qu'avec Disraeli, Schéhérazade aurait pu être sauvée.
    Elle l'aurait été certainement avec une vie de Meredith. Là, la vie est passionnante comme un roman et même construite comme un roman : l'enfance dans la boutique du tailleur; ce premier mariage qui est un échec; cet amour romanesque et pur pour une jeune fille, Janet Duff-Gordon; puis le second mariage réussiet la sérénité. Oui, certainement, avec une vie de Meredith, Schéhérazade aurait été sauvée. Dans d'autres cas, au contraire, la vie est terne, se déroule sans grandes surprises et ne semble pas très propre à retenir l'intérêt du lecteur. Certaines vies, qui contiennent des épisodes intéressants, en contiennent trop peu et sont trop monotones pour se prêter à un récit continu. Considérez un personnage comme Mrs. Siddons. Au premier abord, on se dit: «Comme elle serait intéressante ! » On trouve quelques scènes pittoresques. Le personnage en lui-même est beau. Puis on constate que toutes les vies d'elle qui ont été écrites sont mornes parce que cette vie d'actrice était d'une grande monotonie.
    Il y a des biographies ennuyeuses ; il faut se garder de les écrire. Mais il est vrai qu'il y a des romans ennuyeux et qu'il y a des romanciers qui les ont écrits.
    Passons aux personnages. Forster nous explique qu'il faut soigneusement distinguer l'homme du roman de l'homme réel, que ce sont là deux espèces distinctes, Homo Sapiens et Homo Fictus.
    « Homo Fictus est plus difficile à saisir que son cousin... Cependant, on peut indiquer quelques-uns de ses traits. Il est généralement né; il est capable de mourir; il a besoin de peu de nourriture et de sommeil; il s'occupe sans jamais

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