Voyage en Germanie
Je suis délégué par Vespasien, Julia Fortunata. On m’a envoyé en Germanie supérieure pour une autre affaire, mais tous les incidents étranges qui surviennent pendant que je suis ici peuvent avoir un lien, aussi faudra-t-il enquêter. Tu as raison : je devrais faire bon accueil à tous les renseignements qui m’arrivent au sujet de l’endroit où se trouve Gracilis. Tu peux parler en toute franchise.
Elle resta un instant silencieuse, me dévisageant tranquillement. Je soutins son regard. Son verdict établi, elle nous fit signe de nous asseoir.
Elle avait prévu d’avance ce qu’elle allait dire. Les mots affluèrent, de manière concise, sans qu’il soit nécessaire de questionner. Gracilis avait bel et bien disparu. Julia était terriblement inquiète. Elle avait demandé à me voir parce qu’elle sentait que les autres personnes prenaient l’affaire trop à la légère, ou alors savaient quelque chose et conspiraient à étouffer l’affaire. Que le légat s’en aille où que ce soit sans en faire part à Julia était inimaginable.
— Est-ce qu’il parle aussi des questions militaires ?
— Dans les limites autorisées, bien entendu.
— Bien entendu, repris-je.
À côté de moi, le strict Justinus fit un effort pour contenir sa désapprobation.
— Dis-moi, Gracilis avait-il des soucis ? m’enquis-je.
— Gracilis est extrêmement consciencieux. Il s’inquiète de tout et de rien.
Un bilieux, hein ? Un type qui devait sans doute harceler ses hommes et tourmenter sa femme, alors que sa maîtresse de dix ans avait, elle, appris à ignorer la chose. Peut-être, me dis-je, le rôle de Julia Fortunata dans la vie du légat avait-il toujours été de le calmer et de lui insuffler du courage.
— De quoi s’est-il inquiété ces derniers temps ? Peux-tu me donner un exemple ?
— Depuis notre arrivée en Germanie ? De la situation politique, en termes généraux. Il craignait que Petilius Cerialis ait été muté en Bretagne prématurément, que la soumission des rebelles ne soit encore que partielle. Il avait le sentiment que de nouveaux troubles se fomentaient.
Elle parlait politique comme un homme. Je me demandai si Gracilis lui-même était aussi disert, ou s’il comptait sur sa maîtresse pour se forger des opinions. Pourtant, à présent qu’elle décrivait la façon dont il jaugeait la situation, comme un chef local doit le faire, j’eus pour la première fois la vision de cet homme agissant avec autorité. L’image de marque du légat devait certes beaucoup à Julia Fortunata.
— Quelles relations entretenait-il au fort ?
— Il avait parfaitement conscience que la Quatorzième Légion était de loin la plus expérimentée et traînait les autres hommes derrière elle dans une large mesure.
Elle esquissa un geste à l’intention de Justinus pour s’excuser de dénigrer la Première. Sa sensibilité nous devenait familière. Justinus lui répondit d’un grand sourire désabusé.
— Autre chose ? Des soucis d’argent ?
— Rien d’anormal.
— Des ennuis avec sa femme ?
— Oh ! je crois que Gracilis sait comment s’y prendre avec celle-là !
À nouveau, elle s’autorisa une note légèrement acide et méprisante, bien maîtrisée toutefois. Julia Fortunata savait qu’elle occupait une position de force.
— D’autres femmes ? suggérai-je d’un ton léger.
Elle ne répondit pas, désapprobatrice.
— Qu’est-ce qui le tracassait donc le plus ? Quelque chose ayant trait aux rebelles, par exemple ? continuai-je.
— Il m’a en effet exposé une hypothèse selon laquelle le chef Civilis refuserait d’accepter la défaite et pourrait tâcher de rallier à nouveau des hommes à sa cause.
— Des preuves ?
— Rien de ferme.
Je souris.
— A-t-il décidé quelque chose pour y remédier ?
— Il aimerait terminer ce que Petilius Cerialis a laissé en plan lors de son départ. Gracilis est ambitieux, naturellement. Traiter avec Civilis accroîtrait son prestige à Rome et lui vaudrait la gratitude de l’empereur. Mais à ma connaissance, il ne disposait d’aucun élément sur lequel s’appuyer.
Pour un envoyé ayant lui aussi besoin d’accroître son prestige et de mériter les remerciements impériaux, c’étaient là des nouvelles des plus rassurantes !
— L’intérêt du légat s’étend-il à Veleda ?
— Il n’a jamais parlé d’elle.
Voilà qui ressemblait fort à un égard : le légat n’était sans doute pas moins captivé par la
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