Voyage en Germanie

tellement elle était grande. Je lui avais conseillé d’en prendre grand soin, car en dehors de celle que je possédais pour ma part, sa corne n’aurait pas de petite sœur.
    — Xanthus surveillant un rebelle, c’est un choix curieux, avança Helena.
    — Xanthus cherche à s’installer pour faire sa pelote dans une ville où le nom de Néron lui vaudra un prestige considérable, et où il puisse s’élever au-dessus de son passé d’esclave. Augusta Treverorum fait l’affaire : la ville est évoluée, mais pas trop snob. La crème de la société belge va défiler dans sa galerie pour se faire raser, pendant que les femmes pauvres feront la queue à la porte de derrière, histoire de faire tailler leurs tresses dorées pour fabriquer des perruques hors de prix destinées aux grandes dames de Rome.
    — Je ne trouve pas ça bien.
    — Elles pourraient vendre pire, ma chérie. Quoi qu’il en soit, je te parie que notre gaillard aux lacets mauves finira par devenir un citoyen en vue, faisant des donations aux temples et érigeant des colonnes avec les plus grands.
    — Et Civilis ?
    — Xanthus lui a fait un rinçage brun foncé pour qu’on cesse de le reconnaître. Ça le mettra à l’abri des assassins, et en sécurité pour nous. Le barbier lui rendra visite à domicile tous les jours pour le raser. Si Civilis prend la poudre d’escampette, on se rendra immédiatement compte de sa disparition.
    C’était la liberté conditionnelle idéale. Le malheureux chef n’aurait pas l’ombre d’une occasion de se rebiffer maintenant qu’il allait passer son temps enfoui sous des serviettes chaudes à écouter des ragots à longueur de journée.
    Helena sourit. J’adorais son sourire.
    — Tu es merveilleux, Marcus !
    L’ironie était plutôt délicate.
    Là-bas, sur l’esplanade, le gouverneur de province, tête couverte, se préparait à consulter une nouvelle fois les augures. Il était aidé dans cette tâche par le représentant de la Quatorzième, Macrinus, qui remplaçait le légat mort. Je vis Mænia Priscilla s’agiter. Elle n’avait plus aucune chance à présent. L’ambition avait pris le pas sur tout le reste. Saisissant l’occasion qui lui était offerte de s’exhiber en tant que remplaçant, Macrinus ne songeait plus qu’à sa carrière à venir. Je n’avais pas besoin de scruter un foie sanguinolent de mouton pour savoir que les auspices ne m’étaient pas favorables.
    — Que se passe-t-il ? s’enquit doucement Helena.
    — Il y a quelque chose que je veux te dire.
    — Eh bien ! autant le faire tout de suite.
    Les porteurs d’étendard – des géants vêtus de peaux d’ours ou de loups, la tête de l’animal fichée au sommet de leur casque et ses griffes croisées sur leur torse – se dirigèrent, chargés de leurs piquets, vers l’arène centrale. Ils s’avancèrent de leur pas lent pour se poster autour du gouverneur, puis fichèrent dans le sol les pointes solides de leurs piquets. Les pointes tinrent bon : les dieux étaient favorables. Là se dressèrent donc les étendards de la Quatorzième Gemina Martia Victrix. L’aigle doré portant le numéro de la légion. Les insignes propres à chaque cohorte de fantassins, et les bannières carrées à franges de la cavalerie. Le portrait de l’empereur à la place de choix. Les honneurs de la guerre portant sur plus d’un demi-siècle. Leur statue de Mars. Et maintenant, remise à la légion devant l’assemblée au grand complet, paume tournée vers le ciel en signe de pouvoir ou d’amitié, leur puissante Main.
    Toujours agenouillé à côté d’Helena, je contemplai fixement la cérémonie.
    — J’ai terminé ma mission. Il est temps pour moi de partir.
    Certaines femmes peuvent plus pour le monde que les hommes. Le doigt d’Helena me chatouillait la nuque. Dans un instant, elle allait comprendre que ce geste n’était plus de mise et cesserait. Je me forçai à poursuivre :
    — Helena, pour l’avenir de Rome, il faut que tu épouses Titus. Quand tu répondras à sa lettre…
    Une fanfare de trompettes m’interrompit. Fantastique. La grande décision de ma vie pulvérisée par une bordée de notes incongrue.
    Le porteur d’étendard chargé de la Main reçut l’assentiment du gouverneur, puis commença à arpenter les rangs de toute la légion pour montrer le cadeau de Vespasien. Il arriva près des cohortes. Chacune mandatait son petit groupe d’éclaireurs chargé d’exécuter un court enchaînement