Voyage en Germanie
notre conversation.
Je mangeai tout ce que je pus avaler de la mixture insipide, puis me rinçai le gosier d’un verre de vin. Je souris à la fille. C’était une gamine trapue à torse plat et courte tignasse rousse. Ses mèches tailladées rebiquaient en crans artificiels comme les aiment tant les filles qui servent à boire, entre autres services moins nourrissants. Elle portait une tunique blanche passablement propre et l’habituel collier de verroterie assorti de bagues serpentines bon marché, ainsi que l’inévitable chaîne de cheville à laquelle j’avais fait allusion un peu plus tôt. Son attitude semblait soumise, mais on y devinait un semblant d’impertinence. À Rome, j’avais tout un lot de sœurs d’une trempe certaine et au bec bien effilé. Regina me faisait penser à elles.
— Dis-moi, Regina, tu connais un domestique privé du nom de Rusticus ?
— Ça se pourrait.
Elle faisait partie de ces filles qui évitent par principe de répondre à une question.
— Tu sais de qui je parle ?
— Il travaille au fort.
— Chez un des légats. Ne t’inquiète pas : il n’y a pas d’ennuis en perspective ! (Je me dépêchai de la rassurer.) J’ai entendu dire que Rusticus et toi étiez bons amis.
— Ça se peut.
Il me sembla voir son regard bleu assuré s’assombrir. Peut-être était-ce de la peur. Ou peut-être quelque chose de plus fugace.
— Tu sais où il est ?
— Non.
— Est-il parti quelque part ?
— Qu’est-ce que ça peut te faire ? rétorqua-t-elle.
— Il faut vraiment que je le trouve.
— Pourquoi ça ?
J’étais à deux doigts de lui expliquer que je recherchais le légat disparu quand elle lâcha d’un ton coléreux :
— Je ne l’ai pas vu depuis des lustres. Je ne sais pas où il est !
Elle se leva d’un bond. Justinus, déconcerté, recula son tabouret dans un grincement métallique strident.
— Qu’est-ce que tu cherches ? cria la fille. Pourquoi viens-tu m’asticoter comme ça ?
Les autres clients – principalement des soldats – tournèrent la tête dans notre direction, mais sans grande curiosité.
— Du calme, Falco, coupa Justinus. (La fille regagna précipitamment la taverne.) Les serveuses ont, en effet, l’air d’être ta spécialité !
Il s’esclaffa, puis me décocha un regard désapprobateur et s’engouffra à l’intérieur à son tour.
— Ça, c’est bien Regina ! lança l’un des soldats avec un grand sourire.
— Soupe au lait ?
— Tout le temps en train de monter sur ses grands chevaux.
Je laissai le montant de l’addition sur la table et déambulai dans les parages jusqu’à ce que le tribun reparaisse.
— Content de te revoir entier ! J’ai cru comprendre que le mauvais caractère de Regina est légendaire. Elle adore hurler et fondre en larmes au nez des clients innocents. Et si on insiste, elle jette des amphores à la tête des spectateurs. Tant pis pour celui qui écope d’une pleine… Tu épongeais ses larmes, ou tu tâchais simplement d’éviter les projectiles ?
— Tu n’y es pas allé de main morte, Falco !
— Elle s’y attendait.
— Ah oui ? (Justinus marmonna entre ses dents :) Eh bien ! moi, j’ai obtenu ce que nous voulions savoir sans brutaliser cette fille. C’est tout simple : l’esclave Rusticus et elle ont eu une querelle d’amoureux. Elle ne le voit plus.
— Et le légat qui lève le pied ?
— Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle a entendu dire que le maître de son petit ami prévoyait peut-être bien de s’en aller pour quelques jours. On ne lui a dit ni pourquoi, ni où.
— Parfait, à condition qu’elle dise vrai.
— Pourquoi mentirait-elle ?
— C’est une fille de bar, et toi, tu es un inconnu. Quand j’ai affaire à une petite menteuse qui a quelque chose à cacher, je sais la reconnaître !
— Eh bien ! moi, je la crois.
— Grand bien te fasse, répondis-je.
Nous nous éloignâmes à grands pas en direction de la porte du fort. Justinus faisait toujours mine d’être furieux, mais son tempérament facile reprenait le dessus. Je hochai la tête et me mis à rire tout bas.
— Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?
— Oh !… il existe une méthode classique pour extorquer des renseignements, qui consiste à envoyer d’abord une grosse brute qui effraie le suspect, puis on fait intervenir son gentil et bienveillant compagnon pour réconforter celui qu’on interroge et le faire passer aux aveux.
— Ça a l’air efficace, constata
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