Voyage en Germanie

signifiant sa gratitude, puis le porteur s’éloignait vers la suivante. Tout au long de la lente marche de ce dernier, l’ensemble des trompettes de la légion continua de beugler.
    La main d’Helena reposait sur ma nuque, totalement immobile. Perdre ce doux contact réconfortant allait être intolérable. Mais j’étais un dur. Je surmonterais. Je me reconstruirais. Si Helena Justina choisissait de servir l’Empire, je la renverrais seule à Rome, puis j’opterais, moi, pour l’exil définitif, et me mettrais à écumer les limites sauvages des territoires impériaux, voire au-delà, tel un lamentable spectre…
    Au moment même où je m’apprêtais à sauter à bas de l’estrade pour m’éloigner en héros, Helena se pencha vers moi. Ses cheveux me frôlèrent la joue. Son parfum m’enveloppa d’un halo de cannelle. Ses lèvres remuèrent doucement tout contre mon oreille :
    — Laisse tomber ton air de chien battu. Je lui ai écrit le jour où tu es parti de Colonia.
    Elle se redressa. Je restai accroupi où j’étais. Nous regardâmes le porteur d’étendard faire le tour de deux cohortes de plus d’un pas décidé, puis les trompettes se turent. Je levai les yeux. Helena Justina m’assena sur le nez une petite chiquenaude du doigt orné de la bague d’argent que je lui avais offerte un jour. Elle ne me regarda pas. Elle gardait les yeux rivés sur l’esplanade en affichant un air d’intérêt raffiné, telle n’importe quelle autre dame de haute extraction se demandant quand elle va pouvoir rentrer chez elle. Il n’y avait que moi qui puisse constater à quel point elle était têtue, et belle.
    Ma bien-aimée.
    Le porteur d’étendard en chef de la XIV Gemina remit la Main d’Acier de l’empereur à son tribun laticlave. C’était un bel objet, de soixante centimètres de haut, et, compte tenu du poids, l’homme devait être hors d’haleine sous sa peau d’ours. Un armurier avait redoré les ébréchures des ornements, mais je savais, moi, que l’un des doigts était entaillé à l’endroit où je l’avais cogné contre un bois de lit dans je ne sais quel galetas pouilleux pour voyageurs, au cours de ma traversée de la Gaule.
    — Alors tu restes avec moi, Helena ? me risquai-je à demander humblement.
    — Pas le choix, répondit-elle (après un temps de silence, histoire de mûrir sa pique.) Je suis propriétaire pour moitié de ton service de réception en poterie de Samos, et je n’ai pas l’intention de renoncer à mes droits. Alors arrête tes âneries, Marcus, et regarde plutôt le défilé.

Sur l’auteur
    Lindsey Davis est née et a grandi à Birmingham, en Angleterre. Après des études littéraires à Oxford, elle entame une carrière dans l’administration, puis décide de se consacrer entièrement à l’écriture. Deux de ses œuvres ont été sélectionnées pour le prix Georgette Heyer. Elle vit aujourd’hui à Greenwich.

Quatrième de couverture
    En l’an 71, les forêts denses et sombres de la Germania Libera sont peuplées de barbares sanguinaires. Elles sont aussi habitées par une prophétesse qui terrorise Rome, et hantées par les esprits de légionnaires romains massacrés dans les batailles.
    C’est pourtant là que l’empereur envoie Marcus Didius Falco : sa mission, retrouver un commandant de légion en fuite dont la loyauté envers l’empire est mise en doute. Une sinécure, dans ce lieu dont peu reviennent vivants…
    Quand sur son chemin les meurtres se multiplient et qu’en forêt ses seuls alliés s’avèrent une bande de soldats incapables, un chien solitaire et son jeune maître innocent, Falco est loin de se douter que son salut ne peut venir que d’une femme…