1941-Le monde prend feu
aux
Japonais, qu’on prépare des opérations contre l’Allemagne, qu’on établisse des
plans pour doubler les productions de matériel, d’armes, de navires.
Car si personne ne doute de la victoire finale, chacun
constate que le présent est encore « sombre » et « noir ».
D’abord dans le Pacifique, où l’offensive japonaise se
poursuit. Et c’est douleur pour Churchill que de subir la chute de Hong Kong, celle
annoncée de Singapour.
Mais en Cyrénaïque, Rommel a échappé à l’encerclement. Mais
en Russie, la contre-offensive russe s’essouffle. Elle a sauvé Moscou et
Leningrad. Elle n’a pas blessé à mort la Wehrmacht.
Il faut donc réagir, prévoir, envisager un débarquement en
Afrique du Nord en 1942, organiser la production de quarante-cinq mille avions,
celle de centaines de milliers de camions, de tanks, de voitures tout-terrain. Sur
chacun des sujets, Churchill intervient avec foi, énergie, obstination, compétence.
Il est bien le Warlord.
Le jour de son départ pour l’Angleterre, le 16 janvier
1942, il peut, avant d’embarquer sur son hydravion, le bras levé, former avec
les doigts le V de la victoire.
47.
Comme Churchill, de Gaulle ne doute pas de la victoire :
Hitler et son III e Reich seront défaits.
Cependant, en cette fin décembre 1941, de Gaulle s’inquiète.
Le tête-à-tête Churchill-Roosevelt prépare la domination
anglo-américaine dans la conduite des opérations et dans l’après-guerre.
Et qu’en sera-t-il de la France, de son empire, de son rôle
dans le monde, de sa souveraineté ?
À Washington, a-t-il été question d’elle ?
La France est pourtant concernée par ce qui se passe en Asie.
L’Indochine, livrée par le gouvernement de Vichy aux Japonais, ne fait-elle pas
partie de l’Empire français ?
Mais les Anglo-Américains ont constitué un état-major dans
lequel ils ont convié les Hollandais, mais ignoré les Français.
L’Indochine ne vaut-elle pas les Indes néerlandaises ?
De Gaulle sait bien qu’à Londres comme à Washington, on veut
ménager le gouvernement de Vichy, dont on pense qu’il contrôle l’Afrique du
Nord et l’Afrique occidentale.
On lui a laissé le pouvoir, dans les Antilles et dans ces
îles situées face à Terre-Neuve et au Canada, Saint-Pierre-et-Miquelon.
Si la France veut rappeler qu’elle est et veut être une
grande puissance souveraine, elle doit agir.
Impossible d’accepter que les traîtres, qui « collaborent »
avec Hitler, soient maintenus en place par Londres et les États-Unis soucieux
de s’assurer ainsi des avantages, des facilités. Si la France Libre l’acceptait,
c’en serait fini alors de la souveraineté nationale !
Agir donc !
Trois corvettes des Forces navales françaises libres, avec à
leur bord l’amiral Muselier et l’enseigne de vaisseau Alain Savary, sont au
Canada, à Halifax.
Voilà des mois que Muselier a envisagé une action pour
renverser les « vichystes » qui gouvernent à Saint-Pierre-et-Miquelon,
mais le désastre de Pearl Harbor, l’entrée dans la guerre des États-Unis l’ont
rendu hésitant. Il ne veut agir qu’à la condition d’obtenir l’accord préalable
des États-Unis et de l’Angleterre.
Naïveté !
Il faut prendre de vitesse les Américains, les empêcher de s’entendre
avec les vichystes, affirmer que la France Libre est légitime en arrachant aux « traîtres »
des morceaux d’Empire.
Le 17 décembre 1941, de Gaulle télégraphie à l’amiral
Muselier :
« Nos négociations nous ont montré que nous ne pourrons
rien entreprendre à Saint-Pierre-et-Miquelon si nous attendons la permission de
ceux qui se disent intéressés.
« C’était à prévoir. La seule solution est une action à
notre propre initiative. Je vous répète que je vous couvre entièrement à ce
sujet. »
Mais Muselier hésite, envisage de refuser d’appliquer une
décision qu’il juge insensée.
Peut-on raisonnablement, en ces jours de décembre 1941 où l’offensive
japonaise se déploie, jouer sa propre carte, pour quelques arpents de terre, et
s’opposer aux États-Unis, le grand allié ?
De Gaulle renouvelle donc son ordre :
« Je vous prescris, télégraphie-t-il à Muselier, de
procéder au ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon par vos propres moyens et
sans rien dire aux étrangers. Je prends l’entière responsabilité de cette
opération devenue indispensable pour conserver
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