1943-Le souffle de la victoire
blindés russes qui descendaient la pente et tiraient sur eux,
ils se jetèrent pêle-mêle dans l’eau glacée. Certains échappèrent à la mort en
s’accrochant à des arbres qu’ils avaient hâtivement abattus… Mais des centaines
se noyèrent. Sous le feu des chars ennemis, des milliers et des milliers de
soldats, ruisselants d’eau glacée, à peine vêtus ou bien nus comme au jour de
leur naissance, couraient sur la neige vers les premières maisons de Lysianka. »
Bon nombre de ces survivants vont être faits prisonniers, et
leur destin, mourir de faim et de froid, est tracé.
Les Russes sont à peine moins inhumains avec leurs
compatriotes faits prisonniers par les Allemands qu’ils « libèrent ».
Mais le NKVD veille. Tout soldat pris par l’ennemi est soupçonné d’avoir
déserté.
La mort au combat absout seule le soldat russe.
Quant aux blessés, aux mutilés, ils sont, en dépit du
dévouement des infirmières et des médecins, devenus des « inutiles ».
Le bon soldat est celui qui peut se battre, tuer et mourir.
En fait, les conditions atroces de guerre ne favorisent pas
les sentiments et d’abord la compassion ou la reconnaissance de l’humain chez l’ennemi.
Quand les Russes libèrent une région, une ville, un village,
ils constatent d’abord les destructions systématiques.
Les Allemands ne laissent derrière eux que la « dévastation ».
Parfois, surpris par la rapidité de l’avance des tanks russes, les Allemands s’enfuient
sans avoir eu le temps de détruire.
Un officier russe découvre ainsi, dans la petite ville qu’il
libère, des véhicules abandonnés dont la provenance raconte l’histoire de la
guerre depuis 1939.
« On aurait dit un garage. Des voitures de toutes
marques et de tous modèles étaient alignées en rangs serrés, le long des rues, dans
les cours et les cerisaies. Il y en avait de tous les pays d’Europe. Depuis les
énormes sept tonnes Demag qui abritaient tout un atelier de réparation jusqu’aux
petits tricycles Renault, depuis les luxueuses Horch jusqu’aux vieilles Citroën.
Toutes étaient camouflées en vue d’un prochain mouvement par voie de terre. Sur
les voies de garage, il y avait des rames de wagons de farine, de sel, de
munitions, de chars, d’essence. Devant un siloélévateur, un train était chargé,
prêt à partir. La destination était marquée sur les wagons : Cologne, Tilsit,
Königsberg. »
Mais le plus souvent, la barbarie de l’occupation nazie
recouvre une toute autre réalité.
Vassili Grossman, né à Berditchev, en Ukraine, retrouve
ainsi les paysages de son enfance, et son pays mis à feu et à sang. Il
interroge les survivants, des vieux pour la plupart.
« Celui qui a entendu, écrit-il, le récit véridique de
ce qui s’est passé en Ukraine durant les deux ans de domination allemande
comprend de toute son âme que désormais cohabitent sur notre terre deux mots
sacro-saints. L’un est amour, le second vengeance. »
Il croise dans un village de la région du Dniepr un jeune
garçon de treize ou quatorze ans.
« Sa maigreur est extrême, sa peau terreuse est tendue
sur ses pommettes, de grosses bosses pointent sur son crâne, il a les lèvres
sales, exsangues comme celles d’un mort tombé le visage contre terre. Son
regard est las, on n’y lit ni joie ni chagrin. »
Vassili Grossman l’interroge :
« Où est ton père ?
— Ils l’ont tué.
— Et ta mère ?
— Elle est morte.
— Tu as des frères et des sœurs ?
— Une sœur, ils l’ont emmenée en Allemagne.
— Il te reste de la famille ?
— Non, ils les ont brûlés dans un village de partisans. »
Grossman regarde ce jeune garçon se diriger vers un champ de
pommes de terre, avançant sur ses pieds nus, noir de boue, tirant sur les
lambeaux de sa chemise déchirée.
Grossman n’oubliera pas cette silhouette.
Mais l’émotion, la révolte, l’accablement, le désespoir le
submergent quand il rencontre des fugitifs qui arrivent de Kiev, encore tenue
par les nazis.
« Ils racontent que les Allemands ont encerclé d’un
cordon de troupes une énorme fosse dans laquelle avaient été enfouis les corps
des 50 000 Juifs assassinés à Kiev à la fin du mois de septembre 1941.
Ils déterrent fiévreusement les cadavres et les chargent sur des camions qui
les emmènent vers l’ouest. Ils s’efforcent de brûler sur place une partie de
ces cadavres. »
Cette fosse
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