1944-1945-Le triomphe de la liberte
mal ?
De Gaulle continue donc ses visites dans les différentes
régions de France. L’accueil est partout chaleureux.
« Ah, si l’on pouvait croire aux lendemains féconds de
ces enthousiasmes ! » s’exclame-t-il.
Mais à Paris, le climat est lourd dans cet été 1945.
La ville est comme assoupie.
De Gaulle lit les rapports des commissaires de la
République. Ce n’est pas l’enthousiasme qu’ils évoquent, mais, surtout dans les
départements ouvriers, la lassitude des plus pauvres qui se transforme déjà,
ici et là, en colère.
Et naturellement, les partis politiques, les communistes
d’abord attisent ces premiers foyers de protestation.
Les communistes sont à la tête des anciens prisonniers de
guerre qui, depuis trois semaines, manifestent.
Et des responsables de la Fédération nationale des
prisonniers, par opportunisme, approuvent les défilés, haranguent les anciens
prisonniers, oublient qu’ils devraient défendre la politique gouvernementale.
De Gaulle convoque l’un de ces hommes.
Il reconnaît ce François Mitterrand qu’il a reçu à Alger,
bien qu’il fût un ancien pétainiste devenu naturellement
« giraudiste ». Henri Frenay, ministre des Prisonniers, a fait de lui
le secrétaire général du ministère.
Mitterrand, malgré sa superbe, est pâle. Il se soumet,
accepte, sous la menace d’être emprisonné, d’écrire une lettre condamnant les
manifestations. De Gaulle le suit des yeux lorsqu’il s’éloigne.
Il fait entrer peu après l’ambassadeur Léon Noël, un ancien
de la France Libre. Il dit au diplomate :
« Noël, cet homme que vous venez de voir sortir est
méprisable : c’est lui qui a organisé les manifestations de prisonniers,
bafouant ainsi l’autorité de l’État et trahissant celui qui fut son ministre,
Henri Frenay. J’ai exigé que lui et ses comparses, soit donnent leur démission,
soit s’engagent par écrit devant moi à mettre fin aux manifestations manipulées
par les communistes. Il a cédé, en signant une note invitant les anciens
prisonniers à arrêter leur mouvement. »
Mais les communistes s’obstinent.
Ils préparent les élections qui ont été fixées au
21 octobre. Ils contestent la décision qu’a prise de Gaulle, malgré l’hostilité
de l’Assemblée consultative, de procéder en même temps que l’élection des
députés à un référendum comportant deux questions :
« L’Assemblée élue sera-t-elle constituante – oui
ou non (si le oui l’emporte, cela signifie la fin de la III e République) –,
et aura-t-elle des pouvoirs limités par le gouvernement dont le chef est élu
par l’Assemblée – oui ou non ? »
Il l’a répété :
« Je souhaite pour ma part que la majorité des Français
réponde oui aux deux questions. » Et ça a été une levée de boucliers des
partis de « gauche » contre la procédure du référendum.
Alors, c’est la guerre contre lui, déjà.
De Gaulle allume une cigarette. Il plisse les yeux. Il
poursuit la lecture des rapports. Il a un sentiment de dégoût et de mépris.
« Certains partis veulent, et ne s’en cachent plus,
discréditer le président du Gouvernement Provisoire en lui imputant le marasme
économique dans lequel le pays se débat… Ils n’hésitent pas à l’accuser d’avoir
refusé d’appliquer le programme du Conseil de la Résistance. »
Il s’arrête. Les comités d’entreprise, la nationalisation du
transport aérien, des houillères, du crédit, les allocations familiales, la
Sécurité sociale, les hausses de salaire, qu’est-ce donc que tout cela à leurs
yeux ?
Ils l’accusent d’être « un homme des trusts et de la
réaction » et de « chercher par le référendum à se faire
plébisciter ».
Il faut, disent-ils, qu’il soit « balayé aux prochaines
élections ».
Il lit, relit. L’amertume remplit sa bouche.
« Certains, poursuit le rapport du commissaire du département
du Nord, reprennent même les arguments du Parti communiste contre le général de
Gaulle avant le revirement de la Russie : “Thorez nous l’avait bien dit en
1941 : de Gaulle est l’agent du capitalisme international.” »
En Haute-Marne, en Moselle, « des maires demandent le
retrait du portrait du général de Gaulle ainsi que des croix de Lorraine se
trouvant sur les drapeaux ».
De Gaulle se lève, marche lentement dans le bureau.
N’est-ce pas Blum qui a dit :
Weitere Kostenlose Bücher