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Le marchand de mort

Le marchand de mort

Titel: Le marchand de mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: C.L. Grace
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Prologue
    La neige survint à l’improviste : de gros nuages gris s’étaient amassés sur la côte est de l’Angleterre, lourds et menaçants, comme si Dieu lui-même châtiait la terre. Le huitième jour après la fête de l’Immaculée Conception de la Vierge, champs et chaussées du Kent commencèrent à disparaître sous une épaisse couverture de neige qui durcissait en glace. Un vent froid se leva du nord-est, balayant la neige en tourmentes sauvages, et les hameaux, les villages et les fermes éloignées se trouvèrent isolés. Même Cantorbéry, la grande cité royale, était paralysée. Il y avait tant de neige accumulée sur les tours, les tourelles et les toits de la cathédrale, qui abritait les reliques  du bienheureux martyr Thomas, qu’on ne pouvait même plus sonner les grosses cloches de peur que leurs battants de fer n’en fassent basculer des monceaux sur quelque imprudent, en bas. Dans la ville, la vie était réduite. On restait chez soi, pelotonné au coin du feu.  Les boutiquiers n’ouvraient pas leurs échoppes et personne ne rôdait dans les rues, ni rétameur, ni fille de joie, ni vigile. On grelottait et on priait que la neige ait fondu d’ici Noël, pour la célébration de la naissance du Christ.
    Les chroniqueurs du monastère de Christchurch soufflaient sur leurs doigts glacés en maudissant dans leur barbe l’encre bleu-vert qui gelait dans les encriers. Comment décrire ces temps ? Les déments et les visionnaires proclamaient que ce blizzard était un châtiment de Dieu parce que le monde puait le soufre de l’enfer et les déjections du diable. Les scribes aimaient ces phrases et consignaient leurs pensées dans les marges de la chronique du prieuré : comment les sataniques allumaient des cierges de cire noire, et comment, dans des lieux sombres et humides, ils s’emparaient de  jeunes vierges qu’ils emprisonnaient dans d’étroites geôles éclairées par du suif de pendus. S’il faut révéler la vérité, ces moines aimaient à se faire peur autant qu’à effrayer leurs lecteurs, aussi imaginaient-ils un autre monde, inversé, où des lièvres pourchassaient des chiens et où des panthères aux yeux d’ambre et à la peau veloutée fuyaient devant des chevreuils. Des animaux dotés de mains humaines sur le dos hantaient ce monde, de même que des dragons zébrés de rouge, créatures étranges au cou reptilien tordu en d’innombrables noeuds gordiens. Des singes à visage de nonne cabriolaient dans les arbres, arborant des cornes de cerf sur leur crâne velu, tandis que des hommes sans bras chassaient des poissons ailés ou des monstres squameux à gueule de lézard. Les moines dessinaient ces visions de cauchemar pour se divertir, tout en regardant par les fenêtres, et ils se demandaient ce que réservait ce grand froid de l’hiver.
    À une croisée de chemins, à quelques kilomètres de Cantorbéry,  l’Irlandais Colum Murtagh, commissaire du roi à Cantorbéry et gardien des écuries royales de Kingsmead, vivait lui aussi un cauchemar. Il enroula autour de ses mains les rênes glacées, et regarda d’un oeil morne les champs gelés. Les chevaux de trait attelés à la charrette sur  laquelle il était installé s’ébrouaient, souffrant du froid qui givrait leur crinière coupée en brosse et leur engourdissait la bouche et les yeux. Colum jeta un regard anxieux au ravitaillement derrière lui, puis il se tourna vers Henry Frenland, le palefrenier maigre et habituellement souriant qui l’avait accompagné aux moulins de Chilham.
    — Nous n’aurions jamais dû partir, murmura Colum.
    Il indiqua du doigt les chevaux.
    — Ils n’en peuvent plus.
    Il rajusta son capuchon. Il avait les oreilles gelées, et on eût dit qu’un diablotin invisible serrait le bout de son nez dans une tenaille glacée. Henry Frenland porta sur lui un regard accablé.
    — Pour l’amour du ciel, homme, qu’as-tu ? jura Colum. Tu es triste comme un péché depuis notre départ de Chilham.
    Brusquement il se mit à rire.
    — Je sais. Nous sommes isolés, perdus dans le Kent sauvage, et le blizzard fait rage. Eh bien, qu’allons-nous faire ? Revenir sur nos pas ou chercher refuge dans quelque ferme ?
    Il secoua son compagnon et s’exclama :
    — Henry ! As-tu perdu ton entendement ? J’aurais dû te laisser à Kingsmead et partir avec Holbech.
    — Toutes choses ont leur commencement, déclara Frenland d’une voix forte, comme s’il n’avait nulle

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