22 novembre 1963
d’un irrésistible fou rire.
« Vous êtes bonne, à ce que je vois. Alors vous voulez que moi, je me brise l’échine et m’arrache les yeux !
— Oh ! J’espère que vous n’aurez pas besoin de cela. Mais, sans plaisanterie, si vous pouviez avoir cette dame, cela vous apporterait beaucoup de gloire, car nos meilleurs chevaliers se sont cassé le nez devant sa porte. »
LE FESTIN DES LOUPS
Dans la forêt blanche sous un ciel jaune et lourd de neige, les corbeaux battaient des ailes, criant la faim.
À la lisière de la forêt, sur la pente du ravin parmi les buissons morts, la neige était rouge de sang, des traces de pattes couraient et s’entrecroisaient et sillonnaient la neige à cent pieds alentour. Il y avait là un grand festin, un cheval vivant. La meute était tombée dessus, se pendant à la gorge et aux jambes ; et maintenant, renversé sur le dos, le cœur battant encore, les entrailles fumantes, il ne bougeait plus. D’abord recouvert tout entier par une masse velue, grognante et grouillante, il ne fut bientôt qu’un amas d’os sanglants à tendons arrachés, et les bêtes dansaient autour de lui, tirant les boyaux noirs et bleus, léchant les excréments, fouillant entre les jambes, sous les côtes, sous les mâchoires, buvant les yeux dans les orbites, grignotant les sabots, s’étouffant avec les poils de la queue – les jeunes roulaient par terre dans le sang, se battant pour un bout de jarret, et les vieux aux fortes échines velues lacéraient d’un coup de griffe ceux qui fourraient le nez dans leur repas – mais la faim était plus forte que la peur, et deux cadavres de loups furent nettoyés aussi, jusqu’à l’os, et puis la meute se rejeta sur la selle, le harnais, la neige sanglante et pétrie d’excréments ; et les corbeaux affamés qui descendaient, attirés par l’odeur du sang, étaient happés en plein vol et dévorés avec les plumes. Et quand il ne resta sur les os que des traces de sang bien léchées, quand toute la neige des alentours fut fondue en boue et dévorée, la meute se remit en quête de gibier, se léchant les babines sanglantes et hurlant toujours la grande faim de la forêt.
Et puis la neige se mit à tomber, brouillant les odeurs et les traces.
Par la grande forêt morte un homme marchait, seul ; les corbeaux battaient des ailes au-dessus de sa tête, attendant de le voir tomber. Il était grand et faisait de longues et lentes enjambées, et avançait au hasard, et les branches glacées lui battaient la figure. La neige couvrait sa tête et ses épaules, et sa barbe était blanche de givre.
Il avait perdu ses chevaux et son compagnon, le feu s’était éteint depuis longtemps. Il marchait pour ne pas mourir de froid. Les loups hurlaient au loin. Mais jamais homme n’avait moins eu peur, car il était enfermé dans ses pensées comme dans une tour. Il était calme. Celui-là dort bien qui n’a rien à perdre, dit le proverbe. Il priait. C’était devenu une habitude pour lui et, quand il était si las qu’aucun souvenir n’atteignait son cerveau, les refrains de prière mêlés à des airs de chansons de guerre lui tenaient lieu de pensée. C’était un homme très endurant à la souffrance.
Il n’y avait pas un mois qu’il avait quitté sa maison, mais il savait si bien l’avoir quittée pour toujours que le temps s’était arrêté pour lui. Il croyait marcher ainsi seul dans cette neige qui l’aveuglait, depuis des siècles, et jamais il n’avait eu d’autre vie. Vous ne me reverrez ni vivante ni morte. Et les corbeaux criaient la grande faim de la forêt.
Les arbres s’écartaient devant lui et les ronces s’aplanissaient sous ses pieds. Il savait bien ce que c’est que se battre, et que seul celui qui ne se protège pas est fort. Dure est la vie à celui qui craint : tout ce qu’il avait craint lui était arrivé. Dure est la vie à celui qui aime les créatures, plus dure encore à celui qui aime les créatures de sa propre chair.
Ô Roi juste qui n’avez jamais menti.
Par la Dame que personne n’a jamais priée en vain, accordez votre joie en paradis à tous les pauvres qui vont sur les routes par le froid et qui ont faim et qui sont seuls au monde. Les grandes troupes de loups courent là-bas dans la vallée et hurlent de leurs entrailles déchirées par la faim. Aujourd’hui, je n’aurai plus de compagnon parce que vous avez voulu envoyer les loups sur lui et les repaître de ses entrailles, et de
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