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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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riche, il avait trois domaines en main, cinq bonnes lieues à la ronde, et lui, Haguenier, devait hériter des deux terres principales. Un homme se méfie souvent de ceux qui ont intérêt à le voir mourir.
    Et pourtant Haguenier n’était pas lui-même d’humeur méfiante. On lui avait bien appris la courtoisie et les bonnes manières, et la bienveillance qu’un bon chevalier doit montrer à tous ceux qui l’entourent, il était prêt à aimer son père, par devoir, comme il était prêt à aimer le seigneur auquel il allait engager sa foi. Il n’était pas de ceux qui pensent une chose et disent une autre, parce qu’il se savait bien né et bien élevé.
    Il était jeune, et gai de nature, et avait envie de vivre une belle vie.
    Le lendemain, Haguenier pria un des valets du château de lui montrer le baron de Pouilli quand il se rendrait à la messe matinale. Ce baron était un homme d’une trentaine d’années, d’assez belle mine, à barbe noire et pointue. Haguenier se présenta, et s’excusa de sa tenue. Il voulait, disait-il, voir sa sœur avant d’aller à Hervi. « Eh ! cela tombe bien, dit Jacques de Pouilli, nous rentrons chez nous demain, vous passerez quelques jours avec nous. Venez, je vais vous mener après la messe à la chambre des dames, ma femme sera contente de vous voir. »
    La comtesse prenait ses repas aux chambres du deuxième étage, qui étaient claires et tendues de tapisseries où les armes de tous les grands fiefs de Champagne étaient tissées sur fond rouge à feuillages bleu clair. La grande cheminée allumée dès le matin éclairait d’une lumière jaune et pâle le fond de la salle et la table haut dressée et couverte d’une nappe blanche. La comtesse, avec ses dames et son chapelain, terminait déjà le repas, et les pages portaient aux convives la bassine à laver les mains, et les ménestrels s’approchaient de la table pour avoir les restes du repas. Les chevaliers de la maison attendaient que le repas fût terminé pour saluer la comtesse et les dames. Et une fois les grâces chantées et les tables mises de côté, la comtesse mena ses dames près des fenêtres sous les écus pour admirer la Seine et les toits de la ville qui brillaient au soleil comme de l’or après les pluies de la veille.
    Quand les dames se furent installées sur les bancs et sur les coussins par terre pour broder, ou pour jouer aux osselets, les hommes purent se mêler aux conversations comme il convenait, après avoir plié le genou devant la comtesse. Alors Jacques de Pouilli prit sa femme à part et lui dit que son frère venu de Normandie voulait la voir. Haguenier se tenait humblement près de la porte, et admirait les belles dames ; de loin, avec leurs robes claires aux teintes vives et leurs cheveux savamment tressés et roulés sur leurs têtes, elles paraissaient toutes plus jolies les unes que les autres, et il ne pouvait deviner laquelle était sa sœur.
    Elle avait couru à lui, et il se trouva tout d’un coup happé, serré, embrassé plus de vingt fois sur les joues, la bouche, les yeux, c’était quelque chose de clair, de grand, de chaud qui se pressait contre lui, l’inondant d’une forte odeur de nard et de chair tiède. « Niot, disait-elle, Niot ! » Elle reniflait ; il avait envie de pleurer lui aussi. Il la prit par les épaules. « Que je vous regarde un peu au moins. » Elle s’essuyait les yeux, « Oh ! mon Niot. » Elle lui cacha la tête sur l’épaule, la releva, s’essuya les yeux. C’était une grande femme – presque aussi grande que lui, pas très jolie de visage, mais si blanche de peau que sa robe blanche paraissait jaune à côté ; ses cheveux d’un blond de lin tombaient en lourdes tresses le long de son cou et de sa poitrine, et ses yeux, grands, très bleus, tout humides de larmes, scintillaient de joie. Aielot avait les lèvres charnues et le menton fendu de son père, un nez un peu épaté, et des sourcils blancs. Mais dans la lumière de ses cheveux et de ses yeux, et de sa peau douce, son visage était mieux que beau. Elle riait à présent, pressant contre les joues du jeune homme ses grandes mains laiteuses et chaudes, si douces que Haguenier, tout frère qu’il fût, se sentit troublé. Ils se regardaient ainsi, sans pouvoir dire un mot.
    « Venez, dit enfin Aielot, venez près de la fenêtre, que je vous voie mieux. Mon Niot. Parlez un peu, que je vous entende. » Elle s’essuyait les yeux du bout des doigts. Il

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