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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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manqua d’être battu, parce qu’il avait un accent du Nord, et qu’il venait se mettre en plein sous le nez des clients et leur barrait le passage. Il expliquait qu’il y voyait mal, et qu’il n’était pas marchand – si quelqu’un voulait d’un mulet, il le céderait à bon prix. Et son prix était bon, en effet, les prix de Troyes étant plus bas que ceux du Puy. Mais il avait l’air si bizarre qu’on le prenait pour un voleur, et il dut parler longtemps et jurer sur sa croix que la bête était bien à lui. Et comme il n’était pas au courant des monnaies du pays, il ne reçut pas la moitié de ce qu’il demandait.
    Avec l’argent il revint chez le cordonnier et le pria de chercher un homme savant pour guérir les maux de poitrine.
    Tout l’hiver, et jusqu’à la fin du Carême, il resta dans la boutique du cordonnier, assis dans un coin de l’atelier, battant les cuirs durs pour les assouplir, tressant les lacets, taillant les couteaux et les rasoirs. Les apprentis autour de lui chantaient en frappant de leurs maillets ou tirant sur leurs aiguilles. Parfois il se mettait à chanter avec eux, parce qu’il aimait apprendre des chansons nouvelles. Il y voyait de plus en plus mal : on l’avait mis dans un coin sombre, derrière les rouleaux de cuir, parce qu’il n’y avait pas de place ailleurs. La pièce était petite, les deux fenêtres carrées tendues de vessie laissaient passer une lumière jaune et blafarde. On allumait les chandelles de bonne heure, et encore n’y en avait-il que pour le maître et le premier compagnon.
    Auberi, mal remis de sa maladie, venait parfois dans l’atelier ; mais il préférait rester à la cuisine, où il aidait la patronne à éplucher les légumes. La marmite pendue dans le feu faisait un bruit à faire croire que cent lutins y étaient enfermés. La patronne soulevait le couvercle et Auben en profitait pour se fourrer derrière la joue un bout de carotte ou un bout de lard.
    Le vieux, qu’on avait, Dieu sait pourquoi, surnommé maître Pierre, était bien vu des apprentis. Il leur racontait des histoires de Terre Sainte, et leur conseillait de quitter leur métier et de se faire soldat : à leur âge on pouvait encore les former, quoique le mieux fût de commencer à six ou sept ans. Ils devaient se mettre au service de quelque seigneur partant pour la Palestine : puisque les rois et les hauts barons étaient trop mauvais pour délivrer le tombeau de Dieu, c’était aux petites gens de le faire. Le pays que Dieu avait choisi pour y habiter était la seule vraie patrie de tout homme, c’était une honte de ne pas le défendre.
    Le patron l’écoutait aussi avec joie, pensant que c’étaient propos de pieux pèlerin. Mais il finit par voir que ses garçons l’écoutaient tant qu’ils travaillaient moins vite. Après Pâques, voyant qu’Auberi était remis de son mal, il dit au Borgne qu’il ne pouvait plus le garder. L’autre le prit très bien, rangea dans sa besace le peu qui lui restait de son avoir et dit : « Grand merci de votre bonté, patron. Nous vous avons donné des soucis. On priera pour vous quand on sera à Jérusalem, » C’était bien la seule récompense qu’il pût promettre, car le cheval était vendu depuis longtemps.
    Et à la porte de la ville, à la vue des collines verdissantes, et des agneaux sautant dans les prés, et du ciel pur au-dessus des monts bleus, il soupira comme un homme qui sort de prison. Et il se mit à marcher, au pas mesuré du pèlerin, chantonnant les chansons des apprentis. Et Auberi marchait à ses côtés, boitillant, car il était encore faible et fatigué.
    Et à la première halte le Borgne lui dit : « Mon garçon, si tu ne veux pas aller avec moi, je ne te tiens pas. Tu es plus près de chez toi que de Jérusalem. J’irai aussi bien seul. » L’enfant le regarda longuement de ses grands yeux graves qui s’apprêtaient à pleurer. « J’irai avec vous, dit-il. Battez-moi si vous voulez. »
LA DAME DE BEAUTÉ
    Marie de Baudemant, dame de Mongenost, n’avait ni enfant ni ami. Elle avait vingt-quatre ans. Et elle s’ennuyait.
    Elle était aimée à la fois du comte de Bar et de Pierre de Joigny, sénéchal de Provins. Pour les amoureux de moindre rang, elle ne les comptait plus. Mais elle n’osait accorder de préférence à aucun d’eux, de peur de leur attirer la haine des deux barons ; et accorder son amour à l’un des deux, elle ne le pouvait sans se faire un ennemi

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