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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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mortel de l’autre, car tous deux étaient très amoureux. Et d’ailleurs, personne ne lui plaisait. De son mari elle n’avait pas d’enfants, et elle aimait mieux cela, car tant qu’elle n’avait pas d’héritier il était obligé de la traiter avec égards : il l’avait épousée pour son héritage et c’était elle qui payait ses dettes.
    Quand la dame de Pouilli lui parla pour son frère venu de Normandie, la dame de Mongenost fit la sourde oreille : ce n’était pas la première fois qu’une amie lui parlait pour un frère ou un oncle ou un cousin. Mais elle se dit que le jeune homme n’était pas connu à Troyes, que le château de Pouilli était voisin de Mongenost, et que si ce garçon était réellement aussi courtois et distingué que sa sœur le disait, il valait peut-être la peine de l’éprouver.
    Haguenier avait du bon sang de chasseur dans les veines et aimait le gibier rare et de grand prix. Non qu’il fût difficile en fait de femmes ; mais il avait ses idées sur l’amour : il pensait qu’une fois chevalier il ne devrait plus aimer qu’une dame très noble, et lui rester fidèle. S’il avait prévu toutes les épreuves que la dame de Mongenost allait lui infliger, il ne se fût peut-être pas engagé à elle. Mais elle devait lui paraître si douce, au début ; après, il fut trop tard pour reculer.
    L’amour entre par les yeux pour descendre au cœur, dit-on. Et ceux qui voyaient Marie avaient raison de le dire, car jamais dame ne fut plus belle à voir. Elle avait la peau si douce et si éclatante que son visage était comme une lampe d’albâtre illuminée du dedans ; et ses yeux aux couleurs changeantes comme la mer parlaient si bien qu’elle eût pu être muette, on ne l’en eût pas moins aimée – et peut-être même mieux, car elle avait une langue trompeuse et subtile, plus cruelle que celle du serpent qui trompa la patriarchesse Ève. Ses cheveux clairs comme de l’avoine mûre, rangés en petites tresses fines le long de ses joues et entremêlés de fils de soie et de perles, faisaient penser à quelque riche passementerie. Son élégance avait même quelque chose de trop recherché qui la faisait parfois ressembler à une statue de sainte sur un portail d’église. Pour des jeunes gens dressés depuis l’enfance pour la vie militaire, élevés dans l’exaltation de toutes les fidélités, ce mélange de délicatesse et de raideur paraissait le comble de la perfection féminine. Plus d’un petit écuyer troyen avait voué sa vie à Marie sans même espérer pouvoir jamais en obtenir un sourire.
    Marie était savante, car elle lisait beaucoup, elle n’avait rien à faire toute la journée. Souvent même elle en avait les yeux tout rouges et les paupières battues. Ses soupirants se chargeaient de lui prêter des livres ; et elle aimait à copier elle-même les chansons qui lui plaisaient avec la musique, et à les orner de petits dessins à l’encre rouge. Elle était aussi très habile aux travaux de l’aiguille et composait elle-même le dessin de ses broderies, dont elle faisait faire la plus grande partie par ses femmes ; comme elle était pieuse, elle brodait surtout des ornements d’église. Lecture, musique, travaux d’art et prières, l’avaient occupée pendant des années, et jusqu’à la passion. C’était sa seule vie – elle n’avait aucune affection pour son mari. À présent, elle commençait à penser à l’amour, tout comme une femme ordinaire.
    Haguenier l’avait vue pour la première fois dans la campagne troyenne, avec Aielot ; elle s’était arrêtée avec ses femmes près d’un bouquet de bouleaux, et jouait à colin-maillard, elle avait justement les yeux bandés, et la tête et le cou découverts. En voyant approcher la dame de Pouilli avec un homme, les demoiselles se mirent à rire et à crier, et à ramasser leurs manteaux jetés à terre. Par malice, elles laissèrent la dame dans le pré comme elle était, disant que la dame de Pouilli arrivait avec sa nièce. Marie riait et essayait de défaire le nœud qui lui cachait la figure. Et quand les cavaliers eurent mis pied à terre, elle arracha le bandeau, et fut tout étonnée de voir un jeune homme agenouillé devant elle.
    Et il la vit ainsi, toute rose et toute lumineuse, les cheveux un peu défaits, le regard tout rêveur de surprise et les cils battants. Et puis elle devint toute rouge et leva les yeux vers la dame de Pouilli, et lui dit doucement :

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