22 novembre 1963
« Amie, ce n’est pas courtois de votre part de ne pas m’avoir avertie que vous étiez avec un homme. Brigitte, apportez-moi mon manteau et mon voile. Seigneur bachelier, je ne vous connais pas, mais je pense que vous êtes le frère de cette dame ; vous m’excuserez de ma tenue, vous voyez qu’il n’y a pas de ma faute. » Et Haguenier la trouva plus belle encore, pour sa politesse – combien ne serait-elle pas douce pour son amant, si elle était aussi délicate envers un étranger.
Elle mena le frère et la sœur près d’une fontaine où venaient parfois boire les moutons, à l’abri des saules et des hêtres. L’eau emplissait un petit réservoir plat, bordé de pierres, et s’écoulait dans le pré en ruisseau. Aielot prit de l’eau dans le creux de sa main et se mit à boire, puis elle s’essuya la main sur ses cheveux et ses joues. « Mon frère, dit-elle, vous devriez demander à la dame de vous faire ainsi boire par courtoisie. Dieu ! que l’eau serait bien meilleure, bue de ses mains.
— Je n’oserais jamais le faire, dit Haguenier. — Mon amie la dame Aielot aime bien rire, fit doucement Marie. Je ne donne à boire dans ma main qu’à mes bêtes ; le seigneur bachelier trouvera de bien meilleures coupes pour boire. — De meilleures, dit Haguenier, il ne peut pas y en avoir, si ce n’est le calice qui contient le sang de Dieu. Je ne serai jamais assez hardi pour vouloir y toucher. » Alors Marie prit de l’eau dans sa main et la porta aux lèvres du jeune homme. « Voyez, dit-elle en riant, si je vous le cède en courtoisie. Et maintenant nous sommes quittes. » Il but, s’efforçant de ne pas trop appuyer ses lèvres sur la petite main mouillée. « Je ne voudrais jamais être quitte, dame, dit-il. Et vous avez eu bien tort d’enlever le bandeau de votre visage. — Et pourquoi, seigneur bachelier ? — Je ne veux pas vous le dire, cela vous fâcherait trop et vous ne voudriez plus me voir. »
La dame fit semblant d’être en colère, se détourna, et se mit à chercher des perce-neige. Elle en trouva deux, qu’elle donna à la dame de Pouilli, en disant : « Vous donnerez le second à messire Jacques, de ma part, avec mon bon souvenir. — Ce n’est pas messire Jacques qui se soucie de tels présents », dit Aielot en riant. Marie riait aussi. « Faites-en ce que bon vous semblera, ce ne sont pas choses si rares. »
Et après ce jour, Haguenier n’eut plus d’autre pensée que de retrouver la dame de Mongenost. « Vous savez, lui avait dit Aielot, il n’est pas bon d’aller souvent sur ses terres, parce que le mari est jaloux et il n’y a pas que le mari. Elle est très surveillée. Si l’on vous voit souvent chez elle, vous perdez toutes vos chances, car vous pensez bien qu’une femme n’aime pas être blâmée à cause d’un homme. Rentrez plutôt à Hervi, puisque le père vous attend. Je lui parlerai de vous comme il faut.
— Mais elle m’oubliera, dit Haguenier. Puisque j’ai la chance de me trouver à une demi-lieue de chez elle, c’est bien le diable si je n’arrive pas à la voir. Elle me croira bien peu dégourdi.
— Pas du tout, dit Aielot. Je vais vous prouver que j’ai raison : elle est une dame très recherchée ; si vous lui tombez tout le temps sous les yeux, vous agirez comme un malappris qui se croit déjà aimé pour quelques mots de politesse qu’elle vous a dits. Vous n’êtes même pas encore chevalier ; vous devez bien lui faire voir que vous savez garder les distances et que vous êtes sage et prudent. Jamais une femme ne voudrait prendre pour amant un écervelé ni un vaniteux.
— C’est juste, dit Haguenier ; mais je ne veux pas qu’elle croie que j’ai peur de mes rivaux.
— En amour, dit Aielot, la patience est tout. Vous pensez bien qu’une dame comme elle, qui n’a que l’embarras du choix, ne choisira qu’un homme dont elle puisse être sûre. »
HAGUENIER : II. UN PÈRE ET UN FRÈRE
Haguenier trouva le château de Hervi en plein remue-ménage, les femmes du château étaient à la rivière pour la grande lessive et étendaient les draps sur le pré pour les faire blanchir, car le soleil était déjà vif. La porte du château était grande ouverte, et, sur le mur, des maçons s’occupaient au replâtrage des fissures, et la cour était pleine de mortier. Des valets lavaient à grande eau les dalles et les murs de la salle, et de la porte s’échappait un large ruisseau
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