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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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peut-être, qu’il ne serait jamais capable de lui pardonner. La nuit, la tête enfouie dans ses mains jointes, elle inventait et disait tout bas de longues litanies contre le vieux, et contre Herbert, les mélangeant dans la même haine. Elle pensait pouvoir faire du mal à Herbert. Elle pensait qu’il l’aimait. Il devait bien l’aimer, pour en être arrivé là. Et elle se rappelait avec joie tout ce qu’il y avait de laid en lui, et elle riait de le connaître si bien et brûlait d’envie de crier tout haut ce qu’il lui était.
    Mais devant la dame, il fallait mentir et être douce et jouer à la fille repentie, parce que devant la dame elle se vidait de son âme folle et devenait comme une noix sans noyau. Et à midi pendant la sieste, elle s’échappait, volait les clefs, graissait les loquets, courait par les sentes de sanglier, et ni le marécage ni la peur des bêtes ne pouvaient l’arrêter ; elle n’y pensait même pas. Elle avait la tête pleine des paroles dures qu’elle allait dire à Herbert. Et des refrains chantaient dans sa tête sans fin – Herbert, tête de fer, Herbert le Gros, tête de taureau, Herbert le Jaloux, tête de loup – elle savait que les enfants du village chantaient cela sur la route en voyant passer des gens du château. Les petits vilains morveux du village le détestaient comme la peste et elle, fille de noble mère, que faisait-elle ? Elle livrait son corps au Jaloux comme à un ami aimé.
    Ah ! Le ciel est clair et les ruisseaux chantent dans les prés, toutes les filles ont leur ami, moi j’ai le mien. Le plus grand, le plus fort, le maître du pays. Celui que personne n’aime, si ce n’est pour son argent. Moi, de l’argent, je n’en ai que faire. Son argent à lui, je le jetterai dans l’eau aux poissons, ses colliers je les égrènerai sur les clairières pour les pies et les corneilles, ses belles étoffes je les étalerai dans la boue pour que les brebis passent dessus. Ami, ami, à personne, même à Dieu au Jugement dernier je n’oserai dire ce que vous êtes pour moi et de quel sang vous êtes, si on l’apprend je serai excommuniée et brûlée sur un bûcher, et vous, la dame vous maudira et vous devrez quitter le pays en chemise et pieds nus, prier Dieu pour votre péché.
    Herbert riait bien de ces choses-là. Jamais on ne pourrait rien prouver contre lui. Mais au fond il était moins tranquille qu’il ne le disait. Dans le pays la fille était connue pour sa sœur et passait pour simple d’esprit. Si la dame apprenait la chose, elle serait capable de ne pas lui pardonner : les femmes sont d’humeur orgueilleuse et obstinée, et ne peuvent pas comprendre jusqu’où un désir d’amour peut conduire un homme – et plus l’amour est contrarié plus il vous tourmente. Telle est la loi de la nature, et Herbert ne prétendait pas être un saint. En pensant à Églantine, il avait parfois d’inavouables jouissances d’amour-propre – ce soufflet donné au vieux père était la revanche de Dieu sait combien de brimades, de petites injustices, d’affronts avalés en silence. Le vieux borgne n’avait pas été vraiment un mauvais père pour lui : un père assez indifférent, un peu rude de manières, c’est tout. Mais Herbert avait trop bonne mémoire ; les fessées reçues à quinze ans, et même à sept ans, cuisaient encore.
ERNAUT OU LE CŒUR LOURD
    Ernaut était fils d’une paysanne de Bernon nommée Gauchère. Au temps où Herbert l’avait connue c’était une belle fille aux cheveux lourds et aux lèvres plates. Elle avait aimé le petit damoiseau trop blond qui l’avait séduite d’un amour simple et fort de fille honnête. Elle subit les coups et la honte, et finit par aller trouver la dame de Linnières : elle était sur le point d’accoucher et jurait que l’enfant était bien d’Herbert ; elle ne voulait pas l’abandonner, et savait que ses parents ne lui permettraient pas de le garder. La dame en avait un peu assez des filles qui se plaignaient d’avoir été séduites par Herbert, mais Gauchère lui avait plu ; elle l’avait donc accueillie au château et avait accepté d’être la marraine de l’enfant. De sa femme Herbert n’avait encore qu’une fille, et il fut assez fier d’avoir un fils : de quoi n’est-on pas fier à seize ans ? La dame, qui n’aimait pas sa bru, espérait que Gauchère aiderait le jeune homme à se ranger un peu. Après le départ des hommes pour la croisade, Gauchère

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