22 novembre 1963
que je perce d’aiguilles toute la journée, mais je sens que cela ne suffit pas. Ai-je jamais vu comment est son cœur, en a-t-il un seulement ? Rien que des boyaux. Jamais je n’ai senti son cœur battre tant il a le corps épais.
» Ô âme vile, je n’ai pas voulu de ton marché, et c’est pour cela que tu m’as jetée aux bêtes. Et si tu me le proposais encore, avec ton amour par-dessus le marché, je ferais encore la même chose. Mieux vaut Macaire qu’un mari complaisant. » On avait laissé la bête lui passer sur le corps, mais au moins elle n’y était pour rien, elle ne s’était pas rendue complice d’une vilenie. Mais lui a une âme de vilain, et ne trouve son plaisir que dans de la boue. Qui peut aimer un homme dont le cœur est aussi bas ? Sûrement, il l’avait ensorcelée avec des charmes rapportés des pays d’Orient, là aussi il n’avait pas joué franc jeu, le jaloux.
Plus qu’un amant, plus qu’un mari, même chair, même sang, il avait pu la trahir, même pour cet amour-là il n’avait pas eu assez de cœur, âme de lâche, âme de vilain. « Par son amour cruel j’ai perdu ma vie, mais lui-même n’aura plus de vie, à présent. Je saurai la lui retirer goutte à goutte, et faire pourrir son sang, et lui envoyer des serpents pour lui boire ses yeux et des sangsues pour s’accrocher à son cœur, et je ferai de sorte que je serai seule à pouvoir le sauver, et je ne bougerai même pas mon petit doigt pour cela. »
Depuis qu’elle avait passé par les grandes douleurs, Églantine n’avait plus peur des esprits ni des fées. Cinq jours et cinq nuits elle avait couru les bois, se cachant dans les ronces à l’approche de chasseurs. Au soir de la Saint-Jean les feux étaient allumés sur les places des villages et dans les prés, les jeunes filles et les gars menaient des farandoles à l’orée des bois, portant des branches d’ormes et de saules. Tout chantait, les prés et les bois. « Garin m’aime, Garin m’a…» Au dernier rayon du jour, au lever de l’étoile du berger, Églantine avait bu d’un trait le breuvage que lui avait donné Jeanne la sage-femme en échange d’une broche d’argent. Mieux valait mourir que de porter l’enfant du vilain.
En cette nuit de la Saint-Jean la lune éclairait si fort qu’on pouvait voir la couleur de la terre et des pierres. Sur la clairière des Fées, Églantine s’était couchée parmi les herbes hautes, car à ce qu’elle voulait faire les fées devaient l’aider, Morgue elle-même venait parfois danser là en cette nuit de la Saint-Jean.
À la clarté de la lune elle avait vu son sang noir et l’enfant tout petit et tout rouge qui était sorti d’elle au milieu de si grandes tortures. Tout petit comme une poupée, avec des mains et des pieds plus petits que des noisettes, une tête comme une grosse noix, et de grands yeux fermés.
Elle l’avait enveloppé de fougères et l’avait mis sur la pierre blanche pour que Morgue prît son âme pour en faire un petit lutin.
Il était si petit, ses bras étaient comme des doigts d’enfant.
Morgue l’avait pris pour en faire un feu follet.
Dans la nuit des grandes tortures un esprit était né, qui n’irait jamais au ciel ni en enfer, un petit lutin qui allait danser sur les marais pour affoler les chasseurs.
C’est pourquoi Églantine n’aurait jamais peur des esprits ni des fées.
 me pour âme corps pour corps,
Morgue me garde de la mort
Et mon vouloir sera si fort
Qu’il aura prise sur leurs corps
Et sur leurs âmes.
Il était si petit, ses yeux étaient comme des yeux d’écureuil mort.
Trois jours après la Saint-Jean, la dame avait vu Églantine rentrer à la ferme de Bernon ; c’était le matin, les valets, dormaient encore, le ciel blanchissait à peine. La dame venait de prendre du feu de sa veilleuse pour allumer les genêts dans la cheminée, sous la grande marmite. Tout d’un coup, Briffaut, le vieux chien aveugle, avait rampé à la porte et s’était mis à la gratter. Et il grattait si fort et gémissait tant que la dame avait fini par ouvrir. Églantine était là, debout, grande et maigre, s’appuyant du bras contre le mur. Sous ses yeux des cercles qu’on eût dits tracés au charbon, les lèvres bleues, un vrai fantôme.
La jeune fille avait dit qu’elle s’était enfuie de Bercenay parce que Macaire la battait, et qu’elle avait vu des fées dans la forêt.
Depuis ce jour, Églantine habitait Bernon. Macaire
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