A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?
souverains.
La chambre dite « du Roi », ainsi que sa salle de bains, totalement réaménagées lors de la visite de la reine d'Angleterre et de son époux, en 1938, ont été transformées depuis en bureaux, occupés par différents secrétaires d'Etat avant 1993. La chambre dite « de la Reine », refaite elle aussi pour la même occasion, est, par bonheur, restée telle quelle. Ayant choisi de ne pas habiter au Quai d'Orsay, nous n'y coulons pas nos nuits, mais Alain vient s'y reposer et y lire quelques télégrammes de temps en temps entre deux décalages horaires. En toute simplicité, j'ai installé mes pénates (ordinateur, journaux et autres indispensables désordres) dans le boudoir de la Reine. J'y viens en général le matin pour écrire, répondre à mon courrier et recevoir mes visiteurs.
Quant à la salle de bains, « de la Reine » elle aussi, qui sépare la chambre du boudoir, elle est sublime. Cinq ou six interrupteurs permettent de la faire briller de mille feux. Sa baignoire arts-déco scintille en plein centre, recouverte de mosaïque d'argent (celle du Roi était d'or), comme des éclats de miroir. Les murs ponctués de petites moulures hexagonales et les lourds doubles rideaux blancs qui la ferment lui donnent des airs d'écrin. Contrairement à celle du Roi, la baignoire de la Reine ne regorge pas de dossiers mais est utilisable bien que les canalisations soient usées.
Au sortir du boudoir se trouve la salle à manger privée, de taille humaine, celle-ci, et derrière encore, une autre chambre.
La visite ne s'arrête pas là. A l'étage supérieur (le deuxième, mais le cinquième niveau...), en haut d'un escalier en colimaçon interminable, les appartements modernes ont été réaménagés par plusieurs ministres successifs. Il y a d'abord un vaste salon années 70, vide, froid, un peu lugubre, avec au milieu une cheminée d'acier. J'ai depuis entrepris d'y installer les cadeaux qu'Alain reçoit de ses visiteurs étrangers ou ceux qu'il rapporte de ses multiples voyages. La pièce ressemble
aujourd'hui à un vaste capharnaüm, avec sa tortue vietnamienne, son tapis du Kazakhstan, sa poterie d'Israël, sa statue du Mozambique, ses poufs du Niger, sa jambya yéménite, sa statue béninoise... sans compter les livres venus des quatre coins du monde qui commencent à garnir les grandes étagères vides que je trouvais, ce vendredi, tristes à mourir...
La visite achevée, l'intendant m'accompagna au premier étage, dans un salon rond illuminé par trois grandes portes-fenêtres ouvrant sur un balcon surplombant le jardin : le salon des Beauvais (ou encore salon des Perroquets), ainsi nommé en raison des tapisseries de la manufacture de Beauvais qui ornent les murs. Situé entre la chambre du Roi et celle de la Reine, c'est, à mon avis et de l'avis général je crois, le plus beau salon du Quai d'Orsay, à la fois le plus raffiné et le plus chaleureux, surtout quand le feu brûle dans la cheminée. J'ai sans le savoir suivi la tradition, puisque c'est ici que je reçois de temps en temps les épouses d'ambassadeurs qui arrivent en poste à Paris, ainsi que quelques visiteurs de marque. Sans renouer bien entendu avec le
rythme d'antan; en effet, au XIX e siècle, l'épouse du ministre y recevait, paraît-il, une fois par semaine. Aucune de ces réceptions ne peut d'ailleurs échapper à la vigilance du ministre : le salon des Beauvais étant situé exactement au-dessus de son bureau, que quelqu'un marche, et le lustre se met à trembler...
M'y attendaient ce vendredi, debout, deux hommes en costume sombre, un peu solennels, les chefs du protocole : celui qui partait dans quelques jours et celui qui allait lui succéder. Au cours de mes futures rencontres avec ce dernier, j'allais découvrir, et souvent de près, à quel point la mission du chef du protocole de la République est toujours hautement délicate et parfois source de situations cocasses. Surtout en période de cohabitation puisque le protocole est au triple service de l'Elysée, de Matignon et des Affaires étrangères. J'allais parfois pouvoir goûter le sel de quelques incidents diplomatiques...
Nous nous assîmes, eux, polis et respectueux, comme il se doit sans doute dans ces fonctions et en face de la femme du ministre. Moi, faussement décontractée. En croisant mes jambes sur le canapé de velours bleu, je prenais conscience de ce que j'étais en pantalon
— bicyclette oblige — et que je n'avais peut-être pas le «
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