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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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partie à leurs parents demeurés au pays.
    Néanmoins, Charging Elk hésitait. L’idée de mourir sur la grande eau l’épouvantait. À quoi bon entreprendre un tel voyage si c’était pour ne pas revenir ?
    Strikes Plenty, quant à lui, était fatigué de la vie au Bastion. La viande était parfois rare. Les hivers étaient toujours rigoureux dans les Mauvaises Terres. Il commençait à se sentir coupé de sa famille au camp du Tourbillon. Lorsqu’il y retournait, il avait de plus en plus l’impression d’être un étranger, comme s’il appartenait à une autre bande, celle du Bastion. « Que vaut la vie qu’on mène ? disait-il à Charging Elk. Quel bien en tirera-t-on ? Un jour, on sera vieux et il ne nous restera plus que des souvenirs d’hivers rudes sans femmes et sans viande. Je ne veux pas de cela. »
    Charging Elk était étonné d’entendre son kola tenir ce discours. Ils n’avaient jamais parlé de quitter le Bastion. Certes, Charging Elk lui-même nourrissait parfois de semblables pensées, mais quand il rendait visite à ses parents et qu’il voyait comment les siens vivaient sur la réserve, il s’empressait de les repousser. « Et si on part et qu’on revienne, quelle sera notre vie ? Qu’est-ce qu’il restera pour nous ici ? »
    Strikes Plenty contempla ses mocassins qui séchaient près du petit feu. Dans le silence seulement troublé par les légers crépitements, Charging Elk s’estima sage d’avoir vu si loin dans l’avenir. Il avait pitié de son ami qui s’enthousiasmait si facilement. Strikes Plenty leva alors les yeux et déclara : « Et si on ne revenait pas ? » Il affichait un large sourire.
    Seulement, Strikes Plenty ne figura pas parmi ceux que les patrons du spectacle de Buffalo Bill choisirent pour accompagner la troupe dans le pays au-delà de la grande eau. Charging Elk et son ami se regardèrent, incrédules. Tous deux avaient démontré qu’ils étaient d’excellents cavaliers, sans doute les meilleurs. Depuis dix ans, ils passaient pratiquement toutes leurs journées à cheval, alors que les Indiens de la réserve ne montaient que pour le plaisir ou le travail. Ils possédaient les chevaux les plus rapides, montaient à cru, tandis que les autres utilisaient des selles en peau de mouton et en cuir. Bien qu’ayant vécu de viande et de navets, et parfois de rien, ils étaient l’un comme l’autre forts et musclés.
    Les Indiens venus assister aux épreuves sur le terrain où se déroulaient d’habitude les pow-wows les acclamèrent. Les deux amis avaient à cheval un côté téméraire, comme si les patrons blancs n’avaient pas réussi à les dompter, jusqu’à leurs chemises et leurs jambières en peau de daim, sales et en lambeaux, qui évoquaient un mode de vie à l’ancienne. Les autres cavaliers, eux, portaient leurs plus beaux vêtements, peaux de daim ornées de franges et de perles, jambières de feutre bleu, chemises de calicot, et certains, même, des longues coiffes. Ils avaient peint leurs visages ainsi que leurs chevaux, et ils se tenaient sur leurs selles, affectant un air sauvage. À cette vue, Charging Elk et Strikes Plenty avaient échangé un large sourire.
    À la fin, après qu’on eut appelé les vingt-cinq noms parmi lesquels n’apparaissait pas celui de Strikes Plenty, Charging Elk décida de ne pas partir. Il convaincrait son ami de retourner avec lui au Bastion. Malgré tous les inconvénients, ce serait toujours mieux que de vivre parmi les gens de la réserve.
    Ils quittèrent Pine Ridge et chevauchèrent pendant deux heures en silence. Strikes Plenty restait quelques pas en arrière, et Charging Elk jetait de temps en temps un coup d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer qu’il était toujours là. La vue de son kola tassé sur son cheval, tête baissée, l’attristait. Enfin, il entendit le cheval de son ami se mettre au trot et venir à sa hauteur.
    « J’ai réfléchi, mon frère, dit Strikes Plenty, affichant son sourire habituel. Tu dois retourner et aller dire au revoir à ta mère et à ton père. Tu vas rester longtemps absent et il faudra qu’ils se souviennent bien de toi. »
    Charging Elk, muet d’étonnement, contempla le visage souriant de son ami.
    « Quand tu seras sur la grande eau en route vers le pays d’où vient le soleil, tu leur manqueras, reprit celui-ci.
    — Je ne pars pas. Je vais au Bastion. »
    Strikes Plenty le considéra un moment. Son sourire avait disparu,

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