À La Grâce De Marseille
interpréter mes rêves. Vous êtes là, et j’ai vu ce soir de nombreux Lakotas sur la piste. Vous m’avez appris que nous avons survécu, aussi pitoyables et impuissants que nous soyons. Vous trois avec votre jeunesse, vous avez communiqué une force nouvelle à mon cœur. Et je vois le petit qui dort dans les bras de Sarah. Nous continuerons, car nous, les Lakotas, nous sommes un peuple fort. »
Pour la première fois, Joseph eut un petit sourire, incertain, certes, mais légèrement teinté d’espoir. « Je ne sais pas… peut-être. »
Charging Elk lui serra l’épaule, puis il se leva, rajusta son pardessus et le boutonna. Joseph se leva à son tour et se tint face à l’Indien de haute taille. Bien que mince, il avait les épaules larges et sa poitrine nue était presque celle d’un homme. De ses bras aux biceps encerclés par des bracelets de cuivre, il maintenait sa couverture en place. Il était aussi grand que Charging Elk, et ses longs cheveux défaits lui tombaient jusqu’aux creux des reins.
« Où vas-tu ? demanda-t-il.
— Chez moi », répondit Charging Elk. Il alla s’agenouiller devant Sarah. « Comment s’appelle le bébé ?
— Rose. »
Il avança la main, et l’enfant à présent réveillé enroula son minuscule doigt brun autour de l’un des siens, le regardant. Ses yeux marron étaient vifs et curieux.
« C’est un bon nom, un nom qui t’apportera toujours le bonheur quand tu le prononceras. »
Il se redressa et se dirigea vers l’entrée de la tente. Andrew et Joseph se tenaient à côté. Charging Elk échangea une poignée de main avec Andrew. « Merci pour la chaleur de ton tipi. Grâce à toi, un étranger a retrouvé une partie de lui-même qui lui manquait depuis de nombreuses années. »
Andrew posa un bref instant la main sur le bras de Charging Elk. L’étrange sourire était toujours là, mais le regard était chaleureux. « Tu n’es pas un étranger. Tu es un Lakota, où que tu ailles. Tu es l’un des nôtres pour toujours. »
Charging Elk se tourna pour prendre congé de Joseph, mais celui-ci déclara : « Je t’accompagne. »
Les deux hommes, marchant côte à côte en silence, traversèrent le campement silencieux. La plupart des lumières à l’intérieur des tipis étaient éteintes, mais la lune aux trois quarts pleine éclairait le ciel et projetait des ombres devant les deux Lakotas. Charging Elk regarda autour de lui pour graver dans sa mémoire le village, la dizaine de tipis, le grand trou pour le feu au centre du cercle. Il n’y avait pas de râteliers pour la viande séchée, pas de chiens, pas de chevaux, personne en vue, mais il redevenait un enfant de dix ans dont le campement était planté sur les berges de l’Herbe Grasse. Les soldats le cherchaient déjà, mais la joie régnait, des parents et des amis se retrouvaient. C’était le dernier campement joyeux des Lakotas et de la jeunesse de Charging Elk. Moins d’un an plus tard, les Oglalas se rendaient à Fort Robinson.
Joseph l’arrêta juste avant l’allée qui conduisait au chapiteau. « J’ai réfléchi, dit-il. Cette voix, dans ton rêve…» Il hésita comme le font les jeunes avant de dire quelque chose d’important. « Cette voix était celle de ta mère. Elle est seule maintenant. » Il marqua une nouvelle hésitation puis, sans le regarder, les yeux fixés sur le pied d’un platane noueux bordant l’allée, il reprit : « Elle te demandait de rentrer. Elle a besoin de toi. »
Charging Elk aussi détourna la tête. Il était venu pour entendre cela, et son cœur se serra. « Je ne peux pas », murmura-t-il.
Joseph leva soudain le visage vers lui. Ses yeux brillaient dans le clair de lune. « Tu peux venir avec nous. Demain, on donne la dernière représentation de la saison. On rentre chez nous pour l’hiver. Viens avec nous !
— Ce n’est pas si facile…
— Reviens demain. On peut en parler à Buffalo Bill. Il sera content de te revoir. Il nous traite bien. »
Charging Elk s’engagea dans l’allée.
« Mais ta mère ? Elle pleure et elle t’appelle. »
Il s’arrêta. Il s’imaginait presque entendre le cœur de Joseph battre dans sa propre poitrine. Il revoyait sa mère dans la cuisine, qui préparait de la viande pour Strikes Plenty et lui. Il la revoyait sur le travois tiré par un cheval, en pleurs, cependant qu’ils attendaient de descendre dans la vallée de Fort Robinson. Et puis il entendit les chants,
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