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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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se trouvait ailleurs, dans un drôle d’endroit où les gens circulaient au milieu des étals, chargés de sacs et de paniers en osier dont certains étaient déjà remplis de choux, d’olives, de dattes et de pain bis. Juste à côté des Soulas, on vendait des fromages de toutes sortes et de toutes formes. Il y en avait des petits et ronds couverts d’une moisissure blanche, d’autres coupés en carrés ou en parts. Ils pouvaient être durs ou crémeux, blancs, jaunes ou orange. Une jeune femme se tenait derrière le comptoir, qui, profitant d’un rare moment de calme, fumait une cigarette, une liasse de billets à la main.
    De son poste d’observation derrière les caisses de poisson, Charging Elk constata qu’elle avait une jambe plus courte que l’autre. Pour compenser, sa chaussure comportait une semelle plus épaisse, mais le pied semblait pareil à l’autre. À Paris, il avait vu des gens, en majorité des hommes, avec une jambe coupée. Une fois, Featherman et lui avaient failli se faire renverser par un cul-de-jatte qui se déplaçait sur une petite plate-forme de bois munie de roues qu’il propulsait à l’aide de ses poings, prenant appui sur le trottoir. Ses mains étaient enveloppées de chiffons sales et déchirés, mais sa barbe était bien taillée et sa veste et sa chemise, relativement propres. Il n’avait même pas eu l’air de remarquer les deux Indiens qui le regardaient filer à toute allure.
    Charging Elk leva la tête et vit que la jeune femme avait les yeux fixés sur lui. Un sourire de guingois étirait ses lèvres entre lesquelles était glissée la cigarette. Agacé par la franchise de ce regard, il se détourna. Pourtant, il savait combien il devait paraître bizarre avec sa haute stature et son teint beaucoup plus mat que celui des gens d’ici. Sa taille, dont il avait tiré tant de fierté à Paris, faisait maintenant de lui un phénomène de foire, au même titre que l’homme sans jambes. Il jeta un coup d’œil sur ses vêtements neufs : la veste de laine, le pantalon bleu, le chandail rayé, les grosses chaussures dans lesquelles il avait à plusieurs reprises trébuché sur les pavés inégaux. Elles étaient raides et dures, et il ne sentait pas le sol sous ses pas. René l’avait à chaque fois rattrapé par le bras en riant et, tout au long du chemin, il n’avait pas arrêté de bavarder et de lui adresser ce large sourire qui dévoilait le trou laissé par les deux dents qui lui manquaient.
    Le jeune Indien n’appréciait guère le contact des habits neufs, mais il était soulagé de voir que les autres hommes étaient vêtus comme lui. Si la veste et le pantalon avaient été un peu plus longs, il aurait presque eu l’impression d’être l’un d’entre eux. En tout cas, en se tenant parfaitement immobile, il avait le sentiment d’être plus ou moins invisible.
    Soudain, l’esprit clair, il revit la parade du Wild West Show entre la gare et le chapiteau. Il se sentait fier alors, fier d’être un Lakota, fier d’appartenir à la troupe, fier de son apparence. Il attendait avec impatience l’occasion de montrer à ces nouveaux wasichus ce qu’il savait faire afin qu’ils ne l’oublient pas de sitôt.
    Le petit homme – René – était en train de se disputer avec une vieille femme aux épaules drapées d’un châle noir, penchée au-dessus d’une pile de petits poissons argentés. Elle tendit un doigt crochu vers le marchand de poisson et dit quelque chose d’une voix chevrotante. René leva les bras au ciel, éclata de rire, puis ramassa un tas d’anchois à l’aide d’une mesure. La vieille femme surveilla la balance d’un œil soupçonneux, encore qu’elle paraissait avoir obtenu ce qu’elle désirait.
    Le jeune Indien semblait à présent perdu dans ses pensées. Prenant conscience de la situation qui était la sienne, il avait éprouvé un choc aussi violent qu’une ruade en pleine poitrine. Pour se donner en spectacle, il s’était donné en spectacle, honteusement même. Pendant ses jeunes années – il y avait si peu d’hivers de cela – il était souvent tombé de cheval, mais sur la piste, jamais, sauf quand il se faisait « tuer » et qu’il devait simuler la chute. Et jamais il n’avait été malade au point d’être tout près de passer dans le monde réel. Et maintenant, au lieu de se trouver quelque part en compagnie de ses amis lakotas, il se tenait là, dans un marché qui empestait le poisson.
    La veille, il

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