A l'écoute du temps
maudissant la malchance qui
s'acharnait sur sa famille.
A l'extérieur, un
passant heurta volontairement les contre-fenêtres en marchant sur le trottoir,
ce qui la fit sursauter violemment. Bien réveillée, elle finit par se lever et
retourner dans la cuisine pour fumer une cigarette en cachette des siens.
Devant une tasse de café, elle réfléchit longuement aux différents moyens de
nourrir les siens durant ce qui s'annonçait devoir être une bien longue absence
de Gérard. Peu à peu, elle renouait avec sa vraie nature, une femme énergique
peu portée sur les attendrissements.
Quand elle
retourna se mettre au lit un peu après minuit, sa décision était prise. Elle ne
demanderait l'aide de personne. Elle allait faire face et se débrouiller seule.
Chapitre 22 Les
temps durs Il ne restait que deux jours de classe aux enfants avant les
vacances de Pâques et Laurette décida de profiter de leur absence de la maison
durant le jour pour faire les courses les plus pressées. Avant même le départ
des jeunes pour l'école, son frère Bernard avait téléphoné pour s'informer de
la santé de Gérard et lui offrir son aide. Elle l'avait remercié et lui avait
assuré qu'elle ne manquait de rien. Comment accepter l'aide de personnes qui
n'étaient pas plus riches qu'elle? Sa première démarche, elle la réservait au
bureau du personnel de la Dominion Rubber où son mari travaillait depuis
vingt-deux ans. Elle aurait pu téléphoner, mais elle n'avait pas confiance en
cet appareil qu'elle ne possédait à la maison que depuis un an. C'était bien
utile pour prendre des nouvelles de la famille, mais pour régler les choses
importantes, il valait mieux se déplacer.
En ce mercredi
saint, un soleil radieux était à l'oeuvre, en train de faire fondre les
derniers amoncellements de neige le long des trottoirs. Déjà, la glace avait
totalement disparu du côté sud de la rue Emmett. Une poubelle avait été
renversée au coin de la rue, en face de l'épicerie Brodeur, et deux mouettes
s'empiffraient en criaillant au milieu des déchets dispersés sur le trottoir.
531
— Il faut que je
lave les châssis doubles pour Pâques, se dit Laurette à mi-voix en se dirigeant
vers la rue Fullum, vêtue de son manteau noir et coiffée de son petit chapeau
de la même couleur.
A la porte de la
Dominion Rubber, un employé orienta la mère de famille vers le bureau du
personnel. Après avoir frappé, elle entra dans une grande pièce où un petit
homme à demi chauve trônait derrière un long comptoir.
— Qu'est-ce que
je peux faire pour vous, madame? demanda l'employé.
— Je suis la
femme de Gérard Morin.
— Vous parlez du
magasinier.
— C'est ça,
monsieur. Je suis venue vous dire qu'il est malade et qu'il peut pas venir
travailler.
— Qu'est-ce qu'il
a?
— Il souffre du
coeur, mentit Laurette. Il est à l'hôpital.
— Bon. Est-ce que
vous avez une idée de combien de temps il va être absent? demanda l'homme en
s'emparant d'un registre sous le comptoir.
— Pas mal
longtemps, dit la visiteuse dans un souffle.
— A peu près,
madame?
— Le docteur a
parlé d'environ un an, dit-elle d'une voix éteinte.
— Un an!
s'exclama l'employé. Là, je suis pas sûr que mon boss va lui garder sa job
aussi longtemps.
— Mais il
travaille pour votre compagnie depuis vingt-deux ans! s'exclama Laurette,
indignée.
— Je le sais
bien, madame, mais ici, c'est encore le boss qui décide, pas le syndicat. On
fait pas ce qu'on veut.
Cette année, ça
va être la première année qu'on va avoir une semaine de vacances payées. C'est
quelque chose.
— Est-ce que vous
pensez que la compagnie va m'aider pendant que mon mari va être à l'hôpital?
finit par 532 LES TEMPS DURS demander Laurette, humiliée d'avoir à quémander.
J'ai tout de même cinq enfants à faire manger.
— Ça me
surprendrait bien gros, madame Morin, répondit l'autre en lui manifestant
ouvertement sa sympathie.
Ici, il y a pas
de fonds spécial pour aider. Il y a même pas de fonds de pension et
d'assurances. Ça fait que quand quelqu'un tombe malade, il doit se débrouiller.
— Mais comment je
vais faire pour faire vivre mes enfants?
— Attendez, lui
dit l'employé. Je vais aller voir mon boss au cas où il pourrait faire quelque
chose. Assoyez-vous, j'en ai pour une minute.
Sur ces mots,
l'homme alla frapper à une porte à la
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