A l'écoute du temps

sanatorium.
     
    — Vous n'avez pas
personne dans votre famille capable de vous aider? demanda la religieuse d'une
voix sèche en la scrutant.
     
    — Ils sont pas
plus riches que nous autres, répondit Laurette, mal à l'aise.
     
    — Bon, nous
allons voir ce que nous pouvons faire, dit la religieuse sur un ton désabusé.
Évidemment, nous ne pourrons installer votre mari dans une chambre privée ou
semi-privée si vous n'êtes pas en mesure de payer. Soeur Émilienne est en train
de le conduire dans une chambre de transition où il va demeurer deux ou trois
jours sous observation, le temps de compléter des examens médicaux.
     
    Ensuite, on lui
trouvera une place dans l'une de nos salles communes.
     
    — C'est correct,
accepta Laurette.
     
    521 Puis, prise
d'un doute soudain au moment où elle allait se lever pour quitter la pièce,
elle demanda à l'économe de l'institution:
     
    — Est-ce qu'il va
avoir les mêmes soins que les autres, même si on n'a pas d'argent?
     
    — Votre question
est insultante, madame, répondit durement la religieuse dont les yeux
flamboyèrent de colère derrière les verres de ses lunettes. Ici, nous soignons
tous nos patients du mieux que nous pouvons, qu'ils soient riches ou pauvres.
     
    — Je disais pas
ça pour vous critiquer, expliqua piteusement Laurette, qui n'avait pas voulu
indisposer celle qui lui faisait face.
     
    L'économe sembla
reprendre immédiatement son calme. D'une voix un peu adoucie, elle tint à
donner à la visiteuse quelques informations supplémentaires.
     
    — Vous savez,
madame, que vous pourrez peut-être avoir droit à la pension des mères
nécessiteuses créée il y a une quinzaine d'années par notre bon monsieur
Duplessis.
     
    Laurette dressa
l'oreille.
     
    — Si vous êtes
bien mariée et avez à votre charge deux enfants de moins de seize ans, vous
pouvez faire la demande. Si je me souviens bien, le gouvernement accorde une
aide de quatre cents dollars pour l'année.
     
    — Merci, ma
soeur.
     
    — Je pense que
nous avons terminé, déclara la religieuse en mettant de côté le dossier fermé
devant elle.
     
    Vous pouvez
retourner dans le hall d'entrée, madame.
     
    Soeur Émilienne
devrait être en mesure de vous expliquer quelques règlements de notre
sanatorium.
     
    Après avoir
remercié encore une fois, Laurette quitta la pièce et retourna auprès de son
frère qui semblait ne pas avoir bougé depuis qu'elle l'avait laissé. Au même
522 UN MALHEUR moment, soeur Émilienne les rejoignit et les entraîna tous les
deux dans une petite chambre du rez-de-chaussée où il n'y avait qu'un lit, une
chaise et une table de chevet.
     
    Gérard était en
train de vider sa valise, ouverte sur son lit.
     
    — Je vous laisse
vous dire au revoir, dit la religieuse avec un bon sourire. Je vous attends
dans le couloir.
     
    Armand serra la
main de son beau-frère en lui souhaitant bonne chance et il s'empressa, lui
aussi, de se retirer dans le couloir pour laisser Laurette seule avec son mari.
     
    — Est-ce que tu
vas venir me voir? demanda Gérard, l'air fragile, dès que la porte de la pièce
se fut refermée derrière son beau-frère.
     
    — Certain, dit
Laurette, réprimant difficilement ses larmes.
     
    — Comment tu vas
faire avec les enfants?
     
    — Inquiète-toi
pas pour ça, on va se débrouiller. Toi, occupe-toi juste de guérir le plus vite
possible, répondit-elle en se mouchant bruyamment dans un mouchoir qu'elle
venait de tirer de l'une des poches de son manteau.
     
    — Tu diras
bonjour aux enfants pour moi.
     
    — C'est sûr, le
rassura sa femme. Je vais revenir dès que je vais pouvoir. As-tu tout ce qu'il
faut?
     
    — La soeur m'a
dit qu'il me faudrait un pyjama, une robe de chambre et des pantoufles. C'est
toutes des affaires que j'ai jamais eues, à part les pantoufles.
     
    — Je vais t'en
trouver, promit Laurette en l'embrassant.
     
    Sur ces mots,
elle le serra dans ses bras, les larmes aux yeux, et se dépêcha de quitter la
chambre avant de fondre en larmes. Soeur Émilienne l'attendait près de la
porte.
     
    Elle lui tapota
affectueusement l'épaule en lui disant à mi-voix: 523
     
    — Ayez du
courage, madame Morin. Votre mari va s'en sortir.
     
    Laurette utilisa
encore une fois son mouchoir pour s'essuyer les yeux. Elle regarda autour
d'elle. Le couloir peint en vert et sentant vaguement l'eau javellisée était
désert.
     
    — Est-ce que mon
frère est déjà parti? demanda-t-elle d'une