A l'écoute du temps
jamais fait.
Elle avait été gâtée jusqu'à un certain point en demeurant avec sa mère à la
maison jusqu'au jour où elle avait épousé Gérard. Évidemment, après son
mariage, il n'avait jamais été question qu'elle se trouve un emploi. La fierté
d'un homme était de gagner suffisamment pour faire vivre sa femme et sa
famille. Oui, à la limite, elle pourrait se chercher un emploi. Où? Comment?
Quel travail pourrait-elle bien faire? Toutes ces questions, elle en ignorait
les réponses. La migraine intermittente dont elle souffrait depuis la veille
revint plus forte que jamais.
À midi, les
enfants, excités, rentrèrent de l'école. Ils étaient officiellement en vacances
pour quatre jours. Pour tout arranger, une petite pluie fine se mit à tomber
durant le repas, condamnant la mère à supporter leur présence dans la maison et
l'empêchant de finir de laver ses fenêtres.
538 LES TEMPS
DURS Laurette achevait de ranger la cuisine avec l'aide de Carole quand on
sonna à la porte.
— Bon, qui est-ce
qui vient encore m'achaler? s'exclama-t-elle. Gilles, va donc ouvrir,
ordonna-t-elle à son fils.
L'adolescent alla
ouvrir et fit entrer un homme âgé d'une soixantaine d'années dont la longue
figure était surmontée par une chevelure grise abondante coiffée sur le côté.
— Est-ce que ta
mère est là? demanda le visiteur d'une voix forte.
En entendant cette
voix, Laurette s'essuya les mains et se dirigea vers le couloir au bout duquel
elle découvrit le visiteur.
— Bonjour, mon
oncle Paul, le salua-t-elle en feignant avoir plaisir à revoir le frère de sa
belle-mère, un homme qu'elle n'avait pas vu depuis plusieurs années. Mon Dieu!
Le plafond va ben me tomber sur la tête pour que vous arrêtiez nous voir. Venez
vous asseoir. Je vais vous faire une bonne tasse de café, offrit-elle.
— Cry de c?y,
c'est pas de refus, dit le parent avec bonne humeur en déboutonnant son léger
manteau de printemps et en le tendant à Carole qui s'était approchée.
— C'est ta
dernière, celle-là, non?
— Oui, mon oncle.
— Elle est
devenue une belle grande fille. Il me semble que la dernière fois que je l'ai
vue, elle commençait à aller à l'école.
— Vous avez de la
mémoire, mon oncle. C'est en plein ça, admit Laurette.
Le frère de sa
belle-mère s'assit à table pendant qu'elle déposait devant lui une tasse de
café.
— Aie pas peur,
je viens pas te parler des Témoins de Jéhovah, dit le visiteur à sa nièce par
alliance avec un rire 539 bon enfant. J'ai entendu dire que t'avais bien
d'autres chats à fouetter ces temps-ci.
Gilles et Richard
pénétrèrent à leur tour dans la cuisine. Ils se souvenaient vaguement d'avoir
rencontré cet oncle de leur père à deux ou trois reprises dans le passé.
— T'as de beaux
enfants, dit Paul Bouchard en regardant les trois jeunes autour de lui après
avoir pris une première gorgée de café. Et ça a grandi tout ce monde-là depuis
la dernière fois que je les ai vus.
— Mes deux plus
vieux sont à l'ouvrage, précisa Laurette en prenant place à son tour à table.
— T'es bien
chanceuse, ma fille, d'avoir des enfants.
Ma femme et moi,
on n'a pas eu cette chance-là. Je te garantis que la vie est pas mal plate sans
enfant.
Laurette ne dit
rien.
— Je suis passé à
matin voir Colombe et ma soeur.
Toutes les deux
m'ont dit que ton mari est rendu au sanatorium. Tu dois pas trouver ça facile
pantoute?
— On va se
débrouiller, affirma Laurette avec une confiance feinte.
— Cry de cry,
es-tu sûre que t'as pas besoin d'aide?
— La seule aide
que j'aimerais avoir, c'est que quelqu'un m'offre une job, mon oncle, dit-elle
pour mettre fin à son insistance.
— Là, ma nièce,
on peut dire que tu tombes peut-être bien. Je pourrais peut-être t'en trouver
une.
— Comment ça?
demanda Laurette, surprise.
— Le frère de ma
femme est foreman chez Viau. Je vais essayer de le rejoindre à soir. Je vais
lui demander s'il pourrait pas te trouver quelque chose. Tout ce que je sais,
c?y de ay, c'est qu'il a une quarantaine de femmes qui travaillent pour lui. Il
devrait avoir le bras assez long pour faire quelque chose.
54° LES TEMPS
DURS Pendant plus d'une heure, l'oncle fut intarissable sur sa vie à Joliette
et les petits ennuis de santé de sa Françoise, à qui il était uni depuis plus
de quarante ans. Au
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