A l'écoute du temps
Peut-être, dit
sèchement le fonctionnaire, mais c'est pas mal mieux que rien.
535 Le lendemain
matin, une surprise désagréable attendait Laurette Morin. Elle était en train
de laver les fenêtres à l'arrière de l'appartement quand on sonna à sa porte.
Elle laissa tomber son chiffon dans son seau d'eau et rentra dans la maison
pour aller ouvrir. En soulevant le rideau qui masquait la vitre de la porte
d'entrée, elle reconnut Armand Tremblay, le fondé de pouvoir de la Dominion
Oilcloth, qui passait chaque année pour le renouvellement du bail.
— Ah ben, bonyeu!
Il manquait plus que lui! Je l'avais complètement oublié, celui-là, jura-t-elle
avec humeur.
Elle lui ouvrit
en affichant un mince sourire de bienvenue.
— Bonjour,
monsieur Tremblay. Entrez donc, lui dit-elle avec toute l'amabilité dont elle
était capable.
Le petit homme la
salua en enlevant son chapeau et passa devant elle. Il enleva ses
couvre-chaussures et attendit dans le couloir qu'elle le précède dans la
cuisine où elle l'invita à s'asseoir à table. Ce dernier ouvrit son mince
porte-documents et en tira une feuille.
— Vous vous
doutez sûrement de ce qui m'amène aujourd'hui, madame Morin?
— Le nouveau
bail, se contenta de dire Laurette dont le sourire s'était un peu figé.
— En plein ça,
madame.
— J'espère que
vous nous augmentez pas encore? demanda la femme de Gérard Morin.
— Pas encore?
répéta l'homme en levant un sourcil.
Vous oubliez,
madame, que ça fait trois ans que la compagnie a pas augmenté votre loyer.
Cette année, elle est encore pas mal généreuse. Votre loyer monte seulement de
deux dollars par mois. C'est raisonnable, non? 536 LES TEMPS DURS
— Êtes-vous en
train de me dire qu'à partir du mois de mai, on va être obligés de payer vingt
piastres par mois pour rester ici! s'emporta Laurette. Aïe! Vous oubliez qu'on
payait neuf piastres par mois quand on est arrivés.
— Ça fait plus
que vingt ans de ça, madame Morin.
— Mais on n'a pas
les moyens de payer autant. Mon mari vient d'entrer à l'hôpital et il
travaillera pas pendant au moins un an. On a de la misère à arriver,
ajouta-t-elle sans entrer dans les détails.
— Je comprends
tout ça, reconnut Armand Tremblay, l'air un peu malheureux, mais je peux pas
faire grand- chose pour vous. Ça dépend pas de moi, vous comprenez.
C'est la
compagnie qui décide.
— Ça a pas
d'allure de manger la laine sur le dos du pauvre monde comme ça, se plaignit
Laurette, toute retournée par ce nouveau coup du sort.
— Écoutez,
madame, dit le fondé de pouvoir. Si vous pouvez vraiment pas payer vingt
dollars par mois, il me reste un quatre et demi sur la rue Notre-Dame, proche
de Dufresne. C'est plus petit qu'ici et vous auriez un bon ménage à faire, mais
le loyer est un peu moins cher.
Laurette demeura
un instant silencieuse avant de déclarer sur un ton décidé:
— Non. Laissez
faire. Je veux pas être poignée à nettoyer la crasse des autres pendant des
semaines. On va garder notre logement. On va essayer de trouver les deux
piastres que ça va nous coûter de plus.
— Bon, je vous
laisse le bail. Faites-le signer par votre mari. Je passerai le reprendre
demain avant-midi.
— Il est à
l'hôpital et je peux pas aller le voir avant une semaine, expliqua Laurette. Je
peux signer à sa place, proposa-t-elle.
Armand Tremblay
hésita un court moment avant d'accepter son offre.
537
— Si c'est comme
ça, signez ici, dit-il en lui montrant la ligne au bas du document. Qu'est-ce
qu'il a, votre mari? demanda le fondé de pouvoir pendant qu'elle signait.
— Il souffre du
coeur, mentit encore une fois Laurette.
On sait pas
encore quand il va sortir de l'hôpital.
— J'espère qu'il
va guérir vite, fit le petit homme en se levant après avoir rangé le bail
dûment signé dans sa serviette.
Laurette le
reconduisit jusqu'à la porte de l'appartement.
— Tous des maudits
voleurs! s'emporta-t-elle après avoir refermé la porte derrière lui. Ils sont
capables de venir nous arracher le pain de la bouche pour s'emplir les poches.
Ça a quasiment pas d'allure, j'arriverai jamais! Au fond, il faudrait presque
que je me trouve une job.
Pendant plusieurs
minutes, elle chercha à se familiariser avec l'idée de quitter le foyer chaque
matin pour aller travailler à l'extérieur, chose qu'elle n'avait
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