A l'écoute du temps

téléphone-moi.
     
    Après avoir
raccroché l'écouteur, Laurette s'assit lourdement dans sa chaise berçante.
Pendant un bref moment, elle croisa et décroisa ses mains, incapable de
retrouver son calme. Jean-Louis n'était pas sorti de sa chambre pour
s'informer. Ses quatre autres enfants étaient demeurés dans la cuisine,
impatients de connaître la teneur de la communication que leur mère venait de
recevoir.
     
    — Puis, m'man?
Est-ce qu'il vous a trouvé une job? lui demanda Richard.
     
    — Oui, dit la
mère de famille sur un ton triomphal. Je commence lundi matin à la biscuiterie
Viau. Enfin une bonne nouvelle.
     
    Tous les enfants
se réjouirent bruyamment pour leur mère.
     
    — On va tous
faire des sacrifices tant que votre père sera pas revenu avec nous autres,
déclara Laurette pour mettre un frein à l'enthousiasme des siens. Par exemple,
il va falloir s'organiser autrement pour le lavage, le ménage et les repas
parce que je serai pas là durant la journée, mais on va y arriver. Chacun va
être obligé de faire sa part.
     
    Tous promirent.
     
    — Ça va être une
ben bonne nouvelle à apprendre à votre père quand je vais aller le voir à
Pâques. Il va arrêter de s'inquiéter pour nous autres.
     
    Soudain, le
visage rond de Laurette changea d'expression:
     
    — Est-ce que ça
vous scandaliserait si j'arrêtais mon carême aujourd'hui plutôt que samedi
midi? demandât- elle aux siens. J'ai tellement envie de fumer que j'en peux
plus.
     
     
     
    — Mais non,
m'man, la rassura Denise. Fumez. Ça nous dérange pas. Le carême est presque
fini.
     
    546 LES TEMPS
DURS Ses frères et sa soeur l'approuvèrent. Laurette se leva et s'empara
fébrilement de son étui à cigarettes déposé sur la dernière tablette de
l'armoire. Elle en tira une cigarette qu'elle tapota doucement sur le couvercle
avant de l'allumer avec son vieux briquet Ronson.
     
    — Pour moi, ça va
sentir pas mal meilleur à cette heure dans les toilettes, dit Richard en
s'éloignant prudemment de sa mère.
     
    Quelques jours
plus tard, Laurette se présenta seule au sanatorium du boulevard Rosemont pris
d'assaut par une vingtaine de visiteurs en cette belle journée de Pâques.
     
    Elle avait refusé
d'être accompagnée par l'un ou l'autre de ses enfants, ignorant encore lesquels
auraient la permission des religieuses pour visiter leur père.
     
    Avec un serrement
de coeur, elle retrouva Gérard alité dans une salle commune du second étage
qu'il partageait avec cinq autres patients. À son entrée dans la pièce, son
mari somnolait et elle dut poser doucement la main sur son épaule pour le
réveiller.
     
    — A ce que je
vois, tu fais pas trop de misère ici dedans, lui dit-elle en feignant une
joyeuse animation.
     
    — C'est pas si
pire, admit-il en lui adressant un pâle sourire. Toi, ça a pas été trop
difficile pour venir?
     
    — Ben non,
l'autobus m'a débarquée presque à la porte.
     
    — Comment vont
les enfants? demanda-t-il.
     
    — Ils sont
corrects. Ils s'ennuient de toi et ils m'ont fait promettre de demander aux
soeurs qui je pourrais amener avec moi quand je vais revenir te voir.
     
    — Es-tu allée à
la compagnie pour voir ce qu'ils peuvent faire pour nous aider? fit Gérard en
changeant de sujet.
     
    547
     
    — Ils nous
donneront pas d'argent, avoua Laurette.
     
    Mais ils ont
promis qu'ils allaient te garder ta job, mentit-elle pour lui conserver un bon
moral.
     
    — Mais comment tu
vas faire pour faire vivre les enfants? fit-il en s'assoyant brusquement dans
son lit.
     
    — Énerve-toi pas
avec ça, répondit-elle d'une voix rassurante. Je vais avoir une ben bonne job
chez Viau.
     
    — Comment ça?
s'étonna-t-il.
     
    — C'est ton oncle
qui me l'a trouvée. Je commence demain matin.
     
    — Comment tu vas
faire avec les enfants?
     
    — Il y aura pas
de problème.- Ils sont tous ben fins. Ils m'aident. Toi, t'as pas à t'en faire
pendant que t'es ici dedans. T'as juste à guérir. Dis-toi qu'on manquera pas de
rien.
     
    L'intense
soulagement qui se peignit sur les traits émaciés de son mari récompensa
amplement Laurette des efforts qu'elle venait de déployer pour le rassurer.
L'avenir n'était peut-être pas aussi rose qu'elle venait de le laisser croire,
mais elle avait l'espoir d'être capable de surmonter l'épreuve qui l'attendait.
     
    A suivre! Fin de,
chère Laurett, tome 2, à l’écoute du temps.
     
    Sainte-Brigitte-des-Saults,
juin