A l'écoute du temps
pas.
— Tu parles d'un
maudit gnochon! s'emporta Laurette.
Il est pas
capable de voir que t'es en pleine santé! Et c'est pour un gars comme ça que tu
pleures? Réveille-toi, ma fille! Il en vaut pas la peine. D'après moi, ça
prouve qu'il t'aime pas ben gros.
— Mais moi, je
l'aime, m'man, dit la jeune fille sur un ton misérable.
— Dans ce cas-là,
pends-toi pas après lui. Montre-toi indépendante, lui conseilla sa mère. S'il
t'aime le moindrement, il va revenir. A cette heure, grouille-toi. Viens
souper. C'est prêt.
La mère de
famille quitta la pièce en laissant la porte de la chambre volontairement
ouverte derrière elle. Deux 543 minutes plus tard, Denise, les yeux encore
gonflés, sortit de sa chambre et vint prendre place à table.
— On soupe tout
de suite, même si Jean-Louis est pas encore arrivé. On n'est pas pour se mettre
en retard à l'église à cause de lui, dit la mère de famille sans s'adresser à
l'un de ses enfants en particulier. Ça commence à sept heures.
— Vous allez à
l'église? s'étonna Denise en chipotant dans son assiette.
— Oui, pour prier
pour la guérison de ton père et pour demander au bon Dieu que je trouve une
job, ajouta sa mère en s'assoyant au bout de la table.
— Mais m'man,
vous avez ben assez d'ouvrage dans la maison sans aller travailler dehors,
protesta la jeune fille.
— Peut-être, fit
sa mère, mais on a besoin de plus d'argent pour arriver. La Dominion Oilcloth a
augmenté notre loyer et la Dominion Rubber veut pas nous donner une maudite
cenne pendant la maladie de ton père.
Denise ne dit
rien. Après le lavage de la vaisselle, elle endossa son manteau comme les
autres et prit le chemin de l'église Saint-Vincent-de-Paul pour assister à la
cérémonie religieuse.
A leur retour à
la maison, un peu après huit heures, les Morin trouvèrent Jean-Louis en train
de lire le journal, confortablement assis dans la chaise berçante de son père.
— Ote-toi de là!
lui ordonna sèchement sa mère en pénétrant dans la cuisine. Ça, c'est la chaise
de ton père, et je veux pas en voir un s'en servir tant qu'il sera pas revenu.
— C'est correct.
Fâchez-vous pas pour ça, dit son fils aîné en se levant. Vous m'avez rien
laissé pour souper, ajouta-t-il sur un ton accusateur.
— Ici, c'est pas
un restaurant, tu sauras, répliqua durement sa mère. Si t'es pas capable
d'arriver à l'heure des repas, tu te débrouilleras ou t'iras manger ailleurs.
544 LES TEMPS
DURS Le jeune homme sembla sidéré de se faire répondre sur ce ton par celle qui
l'avait toujours protégé dans le passé.
Levant la tête,
il aperçut ses frères et soeurs qui semblaient le considérer sans aucune
sympathie. Sans dire un mot, il replia le journal qu'il venait de déposer sur
la table et alla se réfugier dans sa chambre. Pendant ce temps, Gilles avait
allumé la radio et syntonisé Radio-Canada pour obtenir la retransmission de ce
qui restait de la partie de hockey.
Richard vint le
rejoindre et les deux frères s'assirent près de l'appareil pour mieux entendre
la description du match.
Quelques minutes
plus tard, le téléphone sonna.
— Baissez le
radio, leur ordonna leur mère.
Denise se
précipita sur l'appareil, croyant que Serge Dubuc lui téléphonait pour
s'excuser. Le léger sourire qui était apparu dans son visage disparut presque
immédiatement.
— Bonsoir, mon
oncle. Oui, je vous la passe.
— M'man, dit-elle
à sa mère. C'est l'oncle de p'pa. Il veut vous parler.
Le coeur de
Laurette eut un raté. Elle se leva et saisit l'écouteur en formulant une prière
muette.
— Bonsoir, mon
oncle.
— Bonsoir,
Laurette. J'ai parlé à mon beau-frère tout à l'heure. Cry de cry, on peut dire
que t'es chanceuse, toi. Il y a justement une fille de son équipe qui se marie
samedi et qui reviendra pas travailler. T'as t’a job. T'as juste à te présenter
chez Viau lundi matin avant sept heures et demie et demander Georges-Etienne
Bilodeau. C'est mon beau-frère. Il va t'expliquer sà job que tu vas avoir à
faire.
Il paraît que
c'est pas bien compliqué. Tu vas voir, c'est un bon diable.
— Je vous
remercierai jamais assez, mon oncle, pour ce que vous venez de faire, dit
Laurette, soulagée au-delà de toute expression.
545
— C'est pas
grand-chose, ma nièce. Si jamais t'as besoin d'autre chose,
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