À l'ombre des conspirateurs
faisant appel à toute l’étendue de mes compétences. Ses réactions me donnèrent à penser que l’affaire était dans le sac.
— Toi, tu n’en es pas à ton coup d’essai ! gouailla-t-elle quand je la lâchai enfin.
— Se faire embrasser par de jolies femmes est l’un des avantages d’un aussi beau nez. Tu n’es pas novice non plus. Quelle est ton excuse ?
— Les serveuses n’ont pas besoin d’excuses, Falco ! Promets-moi de revenir très vite.
— Tu peux y compter, princesse, promis-je.
Mensonges des deux côtés, probablement, mais dans le quartier de Transtiverina, les gens avaient besoin d’espérer pour vivre.
Le soleil brillait encore quand je regagnai Rome par l’île Tibérine. Sur le pont Cestius, là où le courant est le plus rapide, je m’arrêtai un moment pour vider la poche de ma tunique des bagues ayant appartenu au mort de l’entrepôt.
Il manquait son émeraude, que j’avais probablement perdue dans la rue. Je songeai un instant que la serveuse pouvait me l’avoir dérobée, avant de rejeter cette idée : elle était bien trop jolie pour agir de cette façon-là.
5
Je me mis à clopiner vers le nord. En route, j’achetai une galette fourrée à la viande de porc hachée, dans laquelle je mordis à belles dents. Un chien de garde remua la queue dans ma direction, mais je lui aboyai d’aller sourire à quelqu’un d’autre.
La vie est trop injuste pour se permettre d’ignorer un sourire amical. Je revins en arrière afin de partager ma galette avec le chien.
Je me rendais dans une maison sur le Quirinal. Son propriétaire, un jeune sénateur, s’était engagé dans le même complot que le macchabée balancé dans le grand égout. Arrêté pour être interrogé, il avait été assassiné par ses complices dans la prison de la Mamertine.
On était en train de vider sa maison…Une spécialité de la famille Didius. Au palais, quand j’avais eu vent de l’opération, je m’étais tout de suite porté volontaire. L’ex-illustre propriétaire avait été l’époux de l’actuelle dame de mes pensées, Helena Justina, et j’avais très envie de voir dans quel style ils avaient vécu. La réponse était : luxueux. En voulant fourrer mon nez ici, j’avais fait preuve de stupidité. Lors de ma première visite, mon humeur avait viré au morose avant d’atteindre la vaste demeure.
Les voisins de la plupart des Romains cherchent à les rendre fous : on trouve des détritus et des baquets d’eau sale abandonnés dans les escaliers ; les rez-de-chaussée abritent souvent des boutiques bruyantes ; il n’est pas rare que des putains encore plus bruyantes s’installent dans les étages. Ce n’était pas le cas ici : aucun risque que des voisins dérangent Son Honneur. Les deux étages de la maison se détachaient contre les falaises du Quirinal. La porte donnant sur la rue était discrètement mais sûrement renforcée. Après l’avoir franchie, je me retrouvai dans un hall qui abritait deux loges de portiers. Dans l’atrium principal à ciel ouvert, la lumière du jour faisait encore étinceler les mosaïques vernies d’un goût parfait. Une magnifique fontaine, dans une deuxième cour, ajoutait encore à l’impression de fraîcheur. Elle miroitait au-dessus de plantes vertes qui paraissaient jaillir d’urnes de bronze m’arrivant à l’épaule. Deux couloirs dallés de marbre partaient dans des directions opposées. Si le propriétaire se lassait des salles du rez-de-chaussée, plutôt réservées aux réceptions, il pouvait toujours trouver refuge à l’étage supérieur. On y trouvait diverses petites pièces charmantes, aux portes dissimulées derrière d’épais rideaux damassés.
Avant d’entamer ma mission, je tenais à vérifier si le personnage en vert avait ou non un lien avec cette résidence du Quirinal. Je me dirigeai vers le portier.
— Rafraîchis-moi la mémoire : quel est cet affranchi qui plaisait tellement à ton maître ?
— Tu veux sans doute parler de Barnabas ?
— Exactement. Dis-moi, ce Barnabas possède-t-il une cape verte ?
— Oh ! cet affreux truc ! s’exclama le portier en prenant un air dégoûté.
Barnabas l’affranchi avait complètement disparu de la circulation. Placarder le nom d’un esclave en fuite aurait déjà constitué une perte de temps. Même dans le cas d’un garçon vierge de 16 ans bâti comme un lanceur de disque, aux yeux de bronze liquide, d’une nature docile,
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