À l'ombre des conspirateurs
sachant lire et écrire trois alphabets différents, et capable de jouer de la flûte à deux becs.
J’avais trouvé plus commode de ne pas me soucier de ce Barnabas. Quant à l’empereur, pour consolider sa réputation de bonté (totalement usurpée), il avait décidé d’exaucer les dernières volontés du mort. J’étais chargé d’y veiller. Le « petit » legs prévu pour l’affranchi favori du sénateur défunt consistait en un demi-million de sesterces ! En attendant de mettre la main sur l’heureux propriétaire, je m’étais empressé de le déposer dans ma banque du Forum. Déjà, les intérêts m’avaient permis d’acheter un rosier dans un pot de céramique noire pour décorer mon balcon. Je n’avais donc aucune raison de retrouver Barnabas rapidement. Pour récupérer son héritage, il lui suffisait de venir me trouver.
Les événements du jour changeaient la perspective. Fureter dans l’entrepôt, c’était faire preuve d’une curiosité malsaine, et m’attaquer me paraissait encore plus grave. Je décidai donc d’interroger de nouveau les pauvres épaves qui n’avaient pas encore été envoyées au marché aux esclaves.
— Qui, parmi vous, connaît Barnabas ?
— Qu’est-ce qu’on a à y gagner ?
— Si tu me donnes un renseignement suffisamment important pour occuper toutes mes pensées, j’oublierai peut-être de te botter les fesses…
Soutirer des informations à ces nullités se révélait trop exténuant. Je finis par y renoncer pour aller à la recherche de Chrysosto, un secrétaire phénicien qui atteindrait un bon prix aux enchères. Pour l’instant, j’avais encore besoin de lui pour établir l’inventaire.
Chrysosto, un type mou à la peau granuleuse, présentait des yeux larmoyants à force de fourrer son nez dans des endroits où il n’avait rien à y faire. Il portait une tunique intentionnellement trop courte. Les jambes dont il se montrait si fier n’étaient pourtant que les habituelles quilles blanches qu’on rencontre dans les bureaux, avec des espèces de boulets poilus servant de genoux. Le tout se terminait par des sandales d’où sortaient ses gros orteils. Je me fis la réflexion qu’on aurait pu les utiliser pour remplacer les piquets d’une tente.
— Arrête de griffonner un instant. Il avait quoi de spécial, ce Barnabas ?
— Oh ! Son Honneur et lui avaient été élevés dans la même ferme.
Impressionné par mon regard qui le transperçait, il ramena ses jambes maigres derrière la table.
— Tu peux me le décrire précisément ? Il est comment ?
— C’est un homme du Bruttium minable.
— Tu t’entendais bien avec lui ?
— Pas vraiment.
— Il connaissait les agissements de votre maître ?
— Barnabas prétendait être au courant de tout.
Cet homme si bien informé avait été affranchi. S’il décidait de se perdre dans la nature, cela ne regardait donc que lui. J’avais d’abord pensé qu’il s’était empressé de déguerpir. À présent, j’en venais à me demander s’il ne s’était pas camouflé quelque part dans un but peu avouable.
— Pourquoi s’est-il éclipsé, Chrysosto ? La mort de votre maître l’a beaucoup affecté ?
— Je pense que oui, mais personne ne l’a revu. Il est resté barricadé dans sa chambre. On lui laissait de quoi manger devant la porte. Aucun de nous ne s’est jamais très bien entendu avec lui, alors personne n’a cherché à s’en mêler. Il est allé tout seul réclamer le corps à la prison, et j’ai appris qu’il avait organisé des funérailles quand on m’a apporté la facture. Pas avant.
— Personne d’ici n’a assisté à l’incinération ?
— Non, mais les cendres reposent dans le mausolée de la famille. Je suis allé m’y recueillir hier. Il y a une nouvelle urne en albâtre qui…
— Encore une chose. Quand votre maître a affranchi Barnabas, est-ce qu’il l’a aussi aidé à créer une affaire ? Un commerce de grains, par exemple ?
— Pas que je sache. Ces deux-là ne parlaient que de chevaux.
Cet étrange Barnabas commençait à m’inquiéter sérieusement. Le message transmis par Tullia l’amènerait-il jusqu’à cette maison, afin de toucher l’argent dont il avait légalement hérité ? Deux précautions valant mieux qu’une, j’envoyai un coureur placarder une affiche dans le Forum, offrant une modeste récompense à quiconque fournirait des renseignements sur lui.
— J’indique une somme
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