À l'ombre des conspirateurs
Aufidius Crispus venait de perdre mon vote. Je sortis sans ajouter un mot.
54
Helena Justina avait disparu. Je mourais d’envie de partir à sa recherche, mais j’avais dit à Aufidius Crispus que j’attendrais sous la colonnade.
Sans raison particulière, je longeai toute l’aile de la maison, m’éloignant ainsi du corps principal du bâtiment. Je m’arrêtai quand le brouhaha ne fut plus qu’un faible murmure, dans un endroit où quelques lampes isolées peinaient à percer l’obscurité.
Immobile, j’écoutai la mer se cogner contre la jetée. Crispus avait eu beau se montrer très abordable, j’avais deviné qu’il me méprisait d’après son expression « un messager peu banal ». Il me semblait avoir perdu toute foi en moi-même. J’éprouvais un immense besoin de me faire consoler, mais Helena avait disparu et je me retrouvais seul.
Un bruit de pas résonna soudain. Aufidius Crispus venait de sortir de sa chambre. Il longea la façade en s’éloignant rapidement. J’aurais pu l’appeler, mais à quoi bon ? Sa décision était prise : la lettre de Vespasien resterait sans réponse. Je ne suis pas du genre à abandonner si facilement. Je me lançai à ses trousses pour faire une dernière tentative.
À l’intérieur, la situation avait empiré. Aucune personne assez lucide pour me dire quelle direction Crispus avait prise. Pensant qu’il pouvait être parti chercher Æmilia Fausta, je me précipitai vers le triclinium. Elle s’y trouvait toujours, et seule. Cette fois, elle m’aperçut.
— Didius Falco !
J’enjambai quelques jeunes gens qui avaient mis leur constitution patricienne à rude épreuve.
— Tu as vu Crispus ?
— Pas récemment, admit-elle.
Son air soupçonneux impliquait que des danseuses pouvaient en être responsables.
— Tu m’as l’air bien déprimé, Falco !
— Je le suis ! (Je m’assis, plaçai mes coudes sur mes genoux et me frottai les yeux.) J’ai besoin de repos. Je voudrais qu’une femme affectueuse me fourre au lit en m’offrant un bol de lait !
Æmilia Fausta éclata de rire.
— Noix muscade ou cannelle ?
— Noix muscade, je crois, m’esclaffai-je par politesse.
— Tu as raison, la cannelle forme des grumeaux dans le lait…
— Tu as vu Helena Justina ?
— Oh ! elle est partie avec mon frère. Ils n’avaient pas besoin de témoins ! persifla Fausta.
Je sentis mon estomac se nouer. Préférant ignorer ses insinuations, je me levai pour partir. La sœur du magistrat me sourit telle une anémone de mer affamée contemplant une crevette.
— Helena Justina ne sera pas contente si tu la déranges.
— Elle avait l’habitude que je la dérange, quand je travaillais pour elle.
— Falco, arrête de jouer les innocents !
— De quoi tu parles ?
— Elle couche avec mon frère, affirma Fausta, péremptoire.
Je n’en crus pas un mot. Je connaissais Helena Justina mieux qu’elle ne le supposait. J’aurais pu jurer que certain magistrat blond, élancé, à qui la réussite souriait, ne faisait pas partie des hommes susceptibles d’éveiller son désir.
À ce moment-là, Helena Justina et Æmilius Rufus entrèrent dans la pièce. Et je le crus.
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Il avait passé son bras autour de sa taille. Soit Helena avait besoin d’un appui, soit le magistrat aimait la tenir serrée contre lui. Comment le blâmer ? Moi aussi, je l’aimais. Semblable à un magnifique crocus dans sa robe safran, il pencha sa tête dorée vers elle pour lui murmurer quelques paroles. Ne pouvant quitter la pièce sans passer devant eux, je restai à ma place, le menton fièrement levé. Helena dit quelque chose à Rufus, et il me fit signe. Je me forçai à avancer posément vers eux.
Æmilius Rufus m’infligea le sourire charmeur dont il avait tendance à abuser. Je m’épargnai la peine de le lui effacer d’un coup de poing. Inutile de faire une scène : il avait un rang (je m’en moquais), mais il paraissait avoir aussi la femme. Déclencher un scandale ne pourrait en rien améliorer la situation.
Helena Justina, silencieuse, les yeux baissés, laissa Rufus prendre l’initiative. Une maîtresse femme acceptant de se soumettre à un homme conventionnel. Elle méritait mieux que ça. Vraiment !
— J’ai cru comprendre que tu servais de garde du corps à Helena, de temps à autre. Elle a besoin de toi ce soir.
Je déteste qu’on me parle sur ce ton condescendant.
— Je suis malheureusement déjà pris, dis-je
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