À l'ombre des conspirateurs
m’aider à te trouver.
Helena Justina posa sa coupe de vin.
— Fausta est mon amie. Je ne mentionnerai pas cette conversation, mais j’aimerais tout de même savoir comment tu as prévu d’agir envers elle.
Surpris par cette initiative féminine, Aufidius Crispus répondit avec la franchise dont il avait fait preuve avec moi.
— Je pourrais reconsidérer ma position !
— J’ai pu m’en rendre compte ! C’est une hypothèse, bien sûr ? ironisa Helena.
— Bien sûr, répondit-il d’une voix mesurée, en riant doucement.
— Pour qui garde son regard fixé sur le Palatin, Æmilia Fausta est issue d’une excellente famille, avec un consul parmi ses ancêtres, et un frère qui suit le même chemin. Gravé au dos d’un denier d’argent, son visage aurait toute la dignité qui convient. Elle est assez jeune pour donner naissance à une dynastie, et assez dévouée pour qu’aucun scandale…
— Trop dévouée ! l’interrompit-il.
— C’est ton seul problème ? intervins-je.
— Ça l’était, et ça l’est encore.
— Pourquoi la laisser dîner avec toi ? demanda Helena.
— Je n’ai aucune raison d’humilier cette femme. Si tu es son amie, explique-lui que je pourrais me marier pour des raisons politiques, mais pas si l’on fait preuve d’une telle ferveur envers moi. (Il s’empêcha de frissonner, mais de justesse.) Notre mariage serait une catastrophe. Pour le propre bien d’Æmilia Fausta, son frère devrait l’unir à quelqu’un d’autre.
— Ce serait injuste pour un autre homme. (De toute évidence, Helena le prenait pour un sale égoïste.) Que comptes-tu faire ? insista-t-elle.
— À la fin de la soirée, je la raccompagnerai à Herculanum sur mon bateau. Je lui expliquerai une fois encore que je ne peux pas donner suite à notre projet de mariage. Ne t’inquiète pas, ça ne va pas la perturber. Elle a toujours refusé de me croire.
Je me levai pour sortir la lettre de Vespasien de ma tunique, où elle venait de passer plusieurs semaines. Il sourit d’un air très décontracté.
— C’est le billet doux de Vespasien ?
— Oui, c’est bien ça… (Je le lui remis.) Tu vas le lire ?
— Probablement.
— Il m’a demandé ta réponse.
— C’est bien naturel.
— Tu as peut-être besoin de temps pour y réfléchir ?
— Soit il n’y aura pas de réponse, soit tu l’auras ce soir.
— Merci. Avec ta permission, j’attendrai sous la colonnade extérieure.
— Je t’en prie.
Il se conduisait en homme d’affaires talentueux, et s’agissant du « cas Æmilia Fausta », il avait fait preuve d’une rare compassion. Il possédait un jugement sûr, de l’humour, un sens de l’organisation, et il était d’un abord facile… Il avait raison : il valait largement les Flaviens. Malgré de nombreuses années dans le service public, la famille de Vespasien conservait un côté provincial et un esprit étroit – ce qui ne serait jamais le cas du personnage sympathique devant lequel je me trouvais. Il me plaisait. Principalement parce que, au fond de lui, il refusait de se prendre au sérieux.
— Je souhaite te demander une chose, Falco.
— Je t’écoute.
— Non ! trancha Aufidius Crispus en observant froidement Helena. Quand cette dame se sera retirée.
53
Helena Justina nous jeta à tous les deux un regard malveillant avant de se glisser hors de la pièce – de façon beaucoup plus agressive que la danseuse, et sans rose.
— Elle déteste les secrets, dis-je pour l’excuser.
— Tu as envie d’elle ? (Ses yeux s’étaient réduits à une fente, et il m’observait avec cet air légèrement amusé qui lui servait à manipuler les gens.) Je peux arranger ça…
— C’est un beau cadeau, mais elle refuse de me regarder !
— Falco ! s’exclama-t-il en souriant. Tu n’es pas banal, pour un messager du palais. Si Flavius Vespasianus m’a écrit personnellement, pourquoi t’envoyer avec la lettre ?
— Il n’a confiance que dans les vrais professionnels ! Pourquoi refuser de parler devant la dame ?
— Ma question a trait à son mari.
— Ex-mari, précisai-je.
— Oui, c’est vrai… Que sais-tu à propos de Pertinax ?
— Trop ambitieux, et pas assez intelligent.
— Ah ! Pas ton genre ? J’ai entendu parler de sa mort, ajouta-t-il en me regardant d’un air dubitatif.
— Si on l’annonçait…
— Pertinax était impliqué dans un projet dont j’ai eu connaissance,
Weitere Kostenlose Bücher