À l'ombre des conspirateurs
mais quelque chose m’en empêcha.) Autre chose, Falco ?
Je fis non de la tête. Cet entretien faisait naître bien des questions, mais pousser le sénateur dans ses derniers retranchements n’aboutirait qu’à des résultats fâcheux. Ce que j’avais de mieux à faire était encore de me retirer. D’ailleurs, Marcellus faisait déjà comme si je n’étais plus là. Il luttait pour soulever sa grande carcasse de la chaise longue. Chez cet invalide intermittent, les douleurs se manifestaient toujours au moment opportun.
Le cercle de ses serviteurs se resserra autour de lui, et Helena Justina vint elle aussi s’activer auprès du vieillard. Je lui adressai un salut bref, au cas où elle daignerait y prêter attention, et me dirigeai vers la sortie.
Avant d’avoir atteint l’atrium, j’entendis derrière moi le pas léger que je connaissais si bien.
— J’ai un message de mon père, Falco ! Je vais t’accompagner jusqu’à la porte.
Au fond de moi, je n’étais pas surpris. Les femmes chagrinées pour une raison ou une autre sont monnaie courante dans mon métier. Ce n’était pas la première fois que l’une d’elles courait après moi pour me coincer dans un recoin et me servir une tirade de son cru. Pas la première fois, non plus, que je réprimais une envie de rire, à la perspective d’une distraction gratuite.
32
Le vent faisait tinter les plaques décoratives suspendues entre les grandes colonnes doriques du portique, ajoutant encore à mon sentiment d’irréalité.
Larius, jamais impressionné par les demeures bâties pour en imposer, avait amené le char à bœuf juste devant la porte principale. Il m’attendait patiemment en pressant ses points noirs. Néron avait entraîné avec lui un nuage de mouches, et croquait tranquillement le bord de la pelouse. Derrière eux se déployait l’étonnant arc de cercle bleu de la baie.
Une armée de jardiniers était en train de faucher une étendue de pelouse assez vaste pour y entraîner une légion entière. Ils levèrent tous la tête en même temps quand Néron m’accueillit par un beuglement affectueux. Larius nous jeta un regard sombre.
Son altesse et moi nous tenions en haut des marches. Son parfum familier me martelait les sens aussi efficacement qu’un maillet du bronze. Je craignais de nouvelles allusions à l’enterrement de son oncle. Elle n’aborda pas le sujet, mais je perçus néanmoins sa colère à fleur de peau, tandis que nous devisions.
— Tu es ici en vacances ? croassai-je.
— Je cherchais surtout à t’éviter, répondit-elle d’un ton faussement serein.
— Je vois. Merci de m’avoir accompagné jusqu’à mon bœuf…
— Ne te montre pas aussi susceptible ! Je suis venue consoler mon beau-père.
Elle n’avait pas demandé ce que je faisais dans le coin, mais je le lui dis quand même.
— Je recherche Aufidius Crispus pour le compte de l’empereur.
— Ça te plaît ?
— Je préfère ne pas en parler, répondis-je d’un ton brusque. (Je me calmai immédiatement, car il s’agissait d’Helena.) C’est sans espoir. Les gens du palais ne m’aiment pas davantage que je les aime. On me confie des missions sans intérêt.
— Tu vas abandonner ?
— Non. (Étant donné que je n’avais accepté ce travail que pour elle, je la fixai droit dans les yeux, et ce n’est pas moi qui détournai mon regard le premier.) Écoute, mieux vaut ne pas trop en dire à Marcellus, à propos de l’intérêt que je porte à son fils.
— Oh ! tu as raison ! répondit Helena Justina avec un soupçon de rébellion. Le consul est un vieillard frêle qui peut à peine bouger…
— Calme-toi. Je n’ai pas l’intention de harceler le pauvre vieux…
Je m’arrêtai net. Un serviteur robuste venait de sortir de la maison en portant un parasol. Il s’approcha d’Helena en lui précisant que Marcellus lui avait demandé de venir la protéger du soleil trop violent. Il portait des poignets de force, comme un gladiateur, mais il en fallait davantage pour m’impressionner. Ici, dans la propriété du consul, il était en sécurité ; à l’extérieur, j’aurais pu lui régler son compte en deux temps trois mouvements.
Sa présence n’améliora en rien mon humeur. Je lui fis remarquer froidement que nous nous tenions à l’ombre.
— Mes manières sont peut-être aussi raffinées que celles d’un cafard dans la fissure d’un mur, déclarai-je à Helena, mais tu n’as pas besoin
Weitere Kostenlose Bücher