Alias Caracalla

torture. Il
fera tout pour nousprotéger 28 . »

    Cette révélation est pour moi un moment extraordinaire : ainsi, j’avais raison. Il avait déjà affronté le
danger et était demeuré aux limites de la mort ce
qu’il était dans la vie : intraitable avec l’honneur.

    Bien que Bidault n’ait aucun projet, je me confirme
en l’écoutant qu’il est la seule personne à pouvoir
lui succéder, et le lui dis.

    Il se récrie : « Il est plus irremplaçable que vous
ne le croyez. Je suis incapable d’affronter les fauves
contre lesquels il se bat. De toute manière, cela ne
dépend pas de nous. Je descends ce soir à Lyonpour comprendre la tragédie et rencontrer * Sophie,
dont vous me parlez et que je ne connais pas. Je
vous écrirai. »

    En me quittant, il m’embrasse. C’est la première
fois qu’un résistant me manifeste une telle affection.
Notre longue complicité, le souvenir de * Rex, mon
attachement au patron lui font mesurer l’ampleur de
mon abandon. Grâce à lui, je ne suis plus seul pour
apprivoiser la catastrophe.

    Afin d’être fidèle à mon patron, je vais accomplir
simplement mon devoir : expédier les affaires courantes. Cette tâche sans gloire masquera au regard
des autres la tragédie de ma vie, rivée à la solitude
depuis l’effondrement de la France, en juin 1940.

    ----
    1 .   André Dewavrin en a publié une partie dans l’annexe du
tome III de ses Mémoires ( Colonel « Passy » . Souvenirs. Missions
secrètes en France — novembre 1942-juin 1943 , Plon, 1951). En
dépit de mes recherches dans les archives, je n’ai pas retrouvé la
totalité de ces documents précieux. J’espère qu’un autre historien
sera plus heureux que moi.
    2 .   Je n’ai pas retrouvé ces pièces aux Archives nationales, où
seules sont conservées celles de décembre 1942 à mai 1943.
    3 .   Comité français de la Libération nationale.
    4 .   Cette lettre, que * Rex fit taper pendant le déjeuner, est éclairante pour comprendre la fonction des collaborateurs de Jean
Moulin. Ces instructions étaient adressées à Pierre Kaan, secrétaire du comité de coordination zone nord, afin qu’il informe
Pierre Meunier ( * Morlaix) qu’il devait remplacer Moulin à la présidence du comité. Il indiquait en post-scriptum que c’est moi qui
en ferais de vive voix le commentaire, trop dangereux à écrire.
    5 .   Nous crûmes à l’époque qu’ils avaient été arrêtés ensemble.
En réalité, Joseph Gastaldo ( * Galibier) et Jean-Louis Théobald
( * Terrier) le furent quelque temps plus tard au métro Rue de la
Pompe.
    6 .   Lettre de Jean Moulin à Pierre Kaan, de Lyon, le 10 juin
1943, que m’a communiquée Mme Pierre Kaan.
    7 .   Maurice de Cheveigné s’envola dans la nuit du 15 au 16 juin.
    8 .   Il fut arrêté un mois plus tard, le 10 juillet 1943, et personne
ne le revit jamais.
    9 .   Je ne le revis qu’en décembre 1943, à Paris, au cours d’une
nouvelle mission qu’il accomplissait en France.
    10 .   Le Parti populaire français avait été fondé par Jacques Doriot,
ancien secrétaire général du parti communiste. Converti au fascisme, il devint, en 1940, un collaborateur passionné des Allemands
et mourut en Allemagne au cours d’un bombardement.
    11 .   Dans un témoignage donné à l’automne au BCRA et répété
par la suite, Antoine de Graaff ( * Grammont) prétendit être venu à
Paris afin de se rendre compte par lui-même des événements parisiens. Lors de la publication de ce témoignage en avril 1980  ( Jean
Moulin. Témoignage de T. de Graaff , secrétariat d’État aux Anciens
Combattants, p. 20), je lui ai adressé une lettre de mise au point,
dans laquelle j’écrivais : « Le rédacteur du fascicule se trompe en
vous désignant comme l’adjoint direct de Moulin. Vous étiez le
chef du secrétariat de Lyon. Autre erreur : vous n’êtes jamais venu
à Paris “pour vous rendre compte de la situation en zone nord à la
suite de l’arrestation de Delestraint. Le général Delestraint a été
arrêté le 9 juin 1943, Théobald [ * Terrier] et Suzette à sa suite.
N’ayant plus d’agent de liaison pour avertir Moulin, je suis venu à
Lyon le 12 juin. Moulin étant absent, je ne l’ai retrouvé place Raspail
que le 14. J’ai déjeuné le lendemain avec lui au Coq au vin et suis
rentré à Paris par le train de l’après-midi. Ce fut notre dernière rencontre. Ni Meunier [ * Morlaix], adjoint de