Alias Caracalla
Résistance lui offre peut-être une
chance de ne pas être torturé. Peut-être même, en
jouant la comédie, sera-t-il relâché, comme certains
de nos camarades à l’égard desquels la Gestapo n’a
recueilli aucune preuve : Briant, après sa première
arrestation sur la ligne de démarcation, Aubrac et
*Mechin après l’affaire de la rue de l’Hôtel-de-Ville.
Dans le cas contraire, si * Rex révèle ses titres de
ministre du Comité national de Londres, représentant personnel du général de Gaulle et président
du Conseil de la Résistance, je suis certain qu’il ne
sera pas martyrisé, mais emprisonné, avec tous leségards dus à un chef, monnaie d’échange toujours
possible.
D’après le peu d’informations que nous avons
obtenues à la suite de l’arrestation de Delestraint, il
a été reconnu comme général et n’a pas été torturé.
Les Allemands ont manifesté la même déférence
vis-à-vis de Gamelin, Blum et Herriot, déportés
d’honneur. Sans doute * Rex sera-t-il envoyé en
Allemagne rejoindre ces précieux otages. Peut-être
même fera-t-il l’objet d’un échange immédiat avec des
officiers supérieurs allemands : pourquoi pas Rudolf
Hess, détenu en Angleterre ?
Je marche dans les rues désertes ; je divague.
Brusquement, mon optimisme bascule : n’est-il pas
trop tard ? Je suis de nouveau empli de rage et de
désespoir : mon impuissance me terrifie.
En restant à Paris, est-ce que je ne le trahis pas,
lui qui est tout pour moi. Il est en danger de mort,
et je reste là, dans la douceur de cette soirée de juin
au cœur de la plus belle ville du monde ! Serai-je donc
toujours éloigné des champs de bataille, du risque
noble de la bataille ?
Peu à peu, je sombre dans le pessimisme. Le projet d’évasion est une extravagance qui met inutilement la Résistance en danger. Les Allemands sont
invincibles. Nous attaquerons sa prison avec les
meilleurs de nos camarades, et les Boches, sur leurs
gardes, nous feront prisonniers ou nous extermineront. Certains d’entre nous avoueront. Moi-même
peut-être. Je doute de tout, je déraille, je suis désespéré.
Brusquement, les conseils de * Morlaix me reviennent : oui, je suis le seul à Paris à représenter ce que
les mouvements du Nord nomment parfois la « délégation ». Je contrôle tous les courriers, la liaisonavec Lyon, les transmissions avec Londres, les codes
et, surtout — * Morlaix a raison —, le magot. Chaque
jour, je distribue les budgets et j’exécute les ordres
de Londres pour des réseaux du BCRA en péril.
Ces moyens que * Rex a mis entre mes mains, j’en
assure seul le fonctionnement, comme durant son
absence à Londres. Je dois donc me hisser au niveau
de sa confiance. Toute autre initiative que l’accomplissement de ma tâche quotidienne serait une trahison.
Rentré chez moi, je me déshabille à la hâte. À bout
de forces, je rejoins dans le sommeil le monde fragile et inaltérable de la liberté.
Mercredi 23 juin 1943
Le travail est un jour comme les autres
Lorsque je retrouve * Germain ce matin, il me remet
une note que Kaan a déposée dans ma boîte :
Dupin à Toussaint [ * Alain], 23 juin 43.
Mon cher ami,
Nous avons vivement regretté votre absence,
Bessonneau [Farge] et moi hier soir. Je vous ai
attendu jusqu’à 7 h 35 et j’espère que votre absence
n’est pas mauvais signe.
Je vous adresse d’autre part les renseignements
complémentaires concernant Montfermeil. J’attire
votre attention sur cette affaire qui paraît grave.
Il serait indispensable que nous vous voyions
avant l’arrivée d’Alix [ * Rex]. Je suppose que Mado
me donnera rendez-vous avec vous : sinon, jepourrai vous voir demain soir en déjeunant ensemble au restaurant russe, où j’ai rendez-vous avec
Carré 26 , soit à 2 heures à l’endroit qui vous sera
indiqué oralement.
Amitiés.
C’est lui que je voulais voir pour partager le chagrin que je ressens. Il me faudra attendre 2 heures
cet après-midi. Auparavant, je dois honorer tous les
rendez-vous quotidiens d’une journée ordinaire :
remise de sommes d’argent plus ou moins grosses,
mise en contact des uns avec les autres, dénonciation
d’affaires provinciales entre résistants, désaccords,
hostilités, sans parler des demandes de rendez-vous
de plus en plus pressantes…
À midi, au coin de la rue Royale et de la rue du
faubourg Saint-Honoré, * Morlaix me présente au
commissaire
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